L’histoire de Jean-Philippe Rousseau commence dans l’Indre mais elle se poursuit rapidement en Bourgogne quand il intègre l’école nationale d’ingénieurs des travaux agricoles, l’Enita, à Dijon. « Je voulais travailler avec des animaux, la nature, l’environnement. Je n’ai jamais eu l’ambition de m’installer, notamment car mes parents n’étaient pas de ce milieu. L’idée de conseiller les agriculteurs s’est vite imposée d’autant que je n’avais pas les aptitudes pour faire du commerce d’engins agricoles », sourit le responsable de 61 ans. Dans le conseil, Jean-Philippe Rousseau se plaît à apporter un service dans un secteur d’activité très concret, celui de l’agriculture. « J’aime aussi la dimension relationnelle et le conseil objectif que j’apporte puisque je n’ai rien à vendre. » Après trois ans d’études, son diplôme en poche, il rejoint la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire. Il y occupe la fonction de conseiller agricole sur le territoire d’Autunpendant trois ans et demi. Il change ensuite de poste pour se spécialiser en tant que conseiller fourrage et Cuma, les coopératives d’utilisation de matériel agricole. « À l’époque, dans les années 90, il y avait une nouvelle technique, celle de l’enrubannage donc les agriculteurs avaient besoin de conseils sur le sujet. »
En 1993, après sept ans passés à la chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, il change à nouveau de poste pour être cette fois mis au service de la fédération des Cuma. En 2012, les fédérations départementales se regroupent et changent l’organisation au sein des Cuma. Son poste bascule alors assez naturellement dans ce nouveau modèle et Jean-Philippe Rousseau devient directeur de la fédération des Cuma de Bourgogne.
« Il y a une notion d’engagement dans la Cuma. »
À la fusion des régions, les deux Cuma n’en forment plus qu’une dont il prend la direction. « Environ une exploitation sur deux de la région fait partie d’une Cuma. Cela représente 15.000 exploitations agricoles au sein de 760 Cuma dans sept départements. Historiquement, celles du Territoire de Belfort ne se fédèrent pas », explique-t-il derrière ses grandes lunettes bicolores. La fédération compte 22 salariés répartis dans chaque département et même si son siège est à Bretenières en Côte-d’Or, le directeur opère depuis Mâcon.
Tout à y gagner
En tant que représentant des Cuma, il ne tarit pas d’arguments en faveur de la coopérative. « Le premier intérêt est économique car l’achat d’un matériel coïncide avec des charges fixes d’amortissement donc plus les agriculteurs sont nombreux, plus ils répartissent la charge. » Les céréaliers peuvent ainsi se partager le coût d’une moissonneuse – batteuse, jusqu’à 350.000 € pour les plus imposantes, d’un tracteur de 150 chevaux avoisinant les 100.000 € ou encore des nombreux et indispensables équipements pour travailler la terre comme un semoir à 35.000 €, un pulvérisateur à 70.000 € … Mais le principe de la Cuma s’adresse à tous les types d’agricultures et ainsi aux viticulteurs ou encore aux éleveurs qui peuvent acquérir à plusieurs du matériel d’épandage de fumier, pour environ 80.000 €. Quatre exploitations doivent au minimum se réunir pour former une coopérative. « Il y a une notion d’engagement dans la Cuma, en raison du coût du matériel, cela peut aller de 5 à 15 ans en moyenne. Toutefois, tous les membres ne sont pas obligés de porter la charge de chaque matériel, ils choisissent en fonction de leurs usages et besoins. » Les membres se mettent d’accord sur les investissements à réaliser tandis que le règlement intérieur définit les modalités pratiques, aussi bien pour l’organisation des utilisations qu’en cas de panne. Jean-Philippe Rousseau énumère d’autres intérêts à rejoindre une Cuma. « La coopérative crée du lien entre les agriculteurs, ils échangent sur les pratiques et rompent leur isolement. C’est aussi une façon d’acheter du matériel plus innovant et plus performant. Enfin, un jeune agriculteur qui s’installe réduit son investissement initial. »
De coûteuses transitions
Les agriculteurs doivent relever de nombreux défis et certains d’entre eux passent par les Cuma à commencer par celui des coûts. « L’augmentation des prix du matériel les poussent à professionnaliser les Cuma pour maintenir des coûts supportables par les exploitations. » Ces hausses varient selon les engins agricoles mais ont pu atteindre plus de 25 % au cours des trois dernières années pour les plus conséquentes. « Ils doivent également affronter les transitions, notamment celles des pratiques. » Sans oublier les énergies vertes : Jean-Philippe Rousseau fait, par exemple, référence au désherbage mécanique pour réduire le recours aux produits phytosanitaires. Toutefois, ces changements impliquent une charge supplémentaire de travail pour des agriculteurs aux journées déjà longues. « Avec un pulvérisateur pour produits phytosanitaires, un agriculteur travaille 15 hectares à l’heure. Avec une herse étrille, le désherbage mécanique le plus rapide correspond à 9 hectares à l’heure. Dans les deux cas, cela implique également d’avoir des conditions météos favorables pour aller dans le champ et elles sont plus exigeantes pour le désherbage mécanique. »
L’agriculture ne fait pas exception quand il s’agit de renouveler les générations et de trouver les professionnels de demain. Pour le souriant directeur de la fédération régionale des Cuma, les causes sont multiples : le départ en retraite des babyboomers auquel se confronte tous les secteurs d’activité, un métier pas assez attractif et exigeant, des investissements lourds pour des produits pas assez valorisés… « Il y a aussi un certain agribashing avec un manque de reconnaissance de la société qui, pendant la Covid, portait aux nues le fait de se fournir dans les fermes locales. Ils voient aussi leur liberté de travailler entravée par l’excès d’administratif. »
Recherche agriculteurs pour nourrir l’avenir
En réponse, cet observateur du monde agricole, musicien à ses heures, fait allusion à l’alternative trouvée par des agriculteurs disposant de surfaces plus modestes et se consacrant à la transformation et la commercialisation directe de leur production. Applicable aux éleveurs, maraîchers ou même viticulteurs, l’option reste plus complexe à mettre en oeuvre pour les céréaliers, à moins que… « On trouve des paysans-boulangers ou des exemples de proximité comme pour la moutarde avec la contractualisation autour d’une filière. Mais ce n’est pas faisable à l’échelle de toutes les cultures du pays. »