Invités / Entretiens

Jérôme Attiave.

Le goût des autres

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Photo de Jérôme Attiave
Entretien des espaces verts, ménage, bricolage, livraison des courses à domicile, Jérôme Attiave connaît mieux que quiconque les enjeux actuel du maintien à domicile, lui qui, dès 2007, s’est lancé, seul, dans ce secteur économique émergent. (Crédit : AJ Services 89.)

Il ne court pas les derniers salons « où l’on cause », fuit les honneurs faciles et ne s’épanche pas non plus sur les réseaux pour dispenser des leçons de choses. À la veille de la cinquantaine, cet homme souriant et réservé pourrait être néanmoins tenté de dresser un premier bilan d’une vie essentiellement dédiée à apporter des solutions aux plus vulnérables. En 2007, lorsque Jérôme Attiave quitte, avec la bénédiction de son patron qui a décelé chez lui une irrépressible nécessité d’entreprendre, son poste de conducteur de ligne dans l’industrie pour se lancer dans les métiers de service à la personne, le jeune homme n’a à sa disposition que son courage, sa détermination et sa volonté de bien faire. « Mon beau-père de l’époque m’a prêté une petite tondeuse et sa BX Break. C’est comme cela que AJ Services 89 est née. Avec pour seule communication, une petite annonce dans la presse locale. »

Aujourd’hui agréée par l’État, l’entreprise auxerroise compte 160 collaborateurs, dispose de six agences réparties sur l’ensemble du territoire de l’Yonne, intervient auprès de 1.500 bénéficiaires et pèse quelque 3,5 M€ de chiffre d’affaires. Elle fait aussi partie des sociétés d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) parmi les plus innovantes, qui n’hésite pas, par exemple, à casser les codes en lançant sur les routes son AJ Bus - un dispositif itinérant qui vise à promouvoir les métiers de services à la personne et à proposer des ateliers sur le « bien vieillir » - ou en portant le collectif CI 89 (Coopération interservices de l’Yonne), un groupement d’employeurs qui vise à fédérer les acteurs et les pouvoirs publics autour de la problématique du maintien à domicile, une initiative unique en France toujours présidée par Jérôme Attiave.

L’école Buissonnière

Né dans le XVe arrondissement, ce Mauricien d’origine connaît pourtant de son propre aveu un « parcours scolaire chaotique » qui ne lui permettait certainement pas de cocher toutes les cases de la réussite lorsqu’il débarque à 15 ans dans le quartier Rive Droite. « C’est vrai que l’école ne m’intéressait pas plus que ça… », avoue tout sourire celui qui, passionné d’athlétisme, a inscrit son nom sur les tablettes du Stade auxerrois en terminant champion de l’Yonne junior sur 400 mètres. « Arriver à Auxerre en provenance de Paris a d’abord été un véritable choc. Ce sont deux mondes différents. Aujourd’hui, lorsque j’y retourne, je ne saurais pas expliquer pourquoi mais ce rythme de vie où il n’y a jamais de temps mort me permet de me ressourcer. »

Après s’être dirigé sans passion vers un CAP en mécanique industrielle, il enchaîne différentes missions d’intérim dans les domaines les plus divers et variés. « Je suis curieux de nature et tout m’intéresse alors à chaque fois que je découvrais un nouveau métier, je m’y lanςais à fond ! » À seulement 20 ans, il connaît déjà sa première tentative entrepreneuriale lorsque, avec deux associés, il décide de reprendre une société de maintenance et de mise en peinture de cuve à gaz qui détient un portefeuille client important mais n’a pas de repreneur. L’aventure tourne court. « Nous avons fait toutes les erreurs que peuvent commettre de jeunes entrepreneurs mais j’ai beaucoup appris. » Jérôme Attiave retourne au salariat pour effacer l’ardoise mais sait, en son for intérieur, que ce n’est que partie remise.

La Bonne Éducation

En 2005, l’adoption de la loi dite Borloo sur le déploiement des services à la personne ambitionne de doubler le rythme de croissance d’un secteur économique en devenir et ouvre ainsi de nouvelles opportunités. « Autour de moi, je voyais des personnes âgées qui avaient des besoins pour l’entretien de leurs espaces verts, de leur maison et qui souffraient de solitude. Rendre service était naturel pour moi et j’ai su qu’il fallait que j’emprunte cette voie. » Un client, puis un deuxième. Le bouche-à-oreille et les recommandations de ses bénéficiaires font qu’en six mois son planning affiche complet. « J’ai eu la chance de rencontrer des personnes formidables dont l’une qui m’a offert une tondeuse autoportée, prétextant une panne. C’était sa manière de me soutenir dans mon initiative. »

Au fur et à mesure, AJ Services 89 se développe et embauche ses premiers salariés. En parallèle, Jérôme Attiave n’hésite pas à pousser les portes des administrations et des services concernés pour demander conseil et disposer des autorisations et des agréments nécessaires.

« Comme j’ai quitté l’école assez tôt, je posais des questions simples qui pouvaient passer pour un peu naïves mais être habillé correctement, dire bonjour, bonsoir et merci avec un sourire sincère, comme on me l’a inculqué quand j’étais petit, débloque de nombreuses situations. »

La Reconnaissance Du Métier

En 2010, il ouvre une première agence à Avallon à la pépinière d’entreprises et déroule « tranquillement » sa stratégie. « Mon idée était simple : structurer le département de l’Yonne en maillant le territoire. » À présent AJ Services 89 dispose d’agences aussi bien à Villeneuve-la-Guyard au nord, qu’à Tonnerre ou à Joigny. Jérôme Attiave, lui, poursuit son oeuvre en faveur de la promotion des métiers de service à la personne et de la consolidation des filières de formation. Depuis 2019, il est par ailleurs délégué départemental de la Fédésap. « Nous avons l’obligation de donner envie à nos salariés de rester dans nos entreprises. Depuis que nous sommes entrés dans le secteur médico-social, nous nous sommes réinventés, restructurés et avons accompagné nos collaborateurs dans leur montée en compétences. »

Une philosophie que le dirigeant autodidacte s’est en quelque sorte appliquée à lui-même, en décrochant en 2019 un mastère spécialisé en « Management des structures et activités innovantes en santé », puis en 2023 un Certificat HEC Paris. « J’ai ressenti le besoin de valider ce que j’avais appris au fil des années et d’apprendre ce que je n’avais pas pu approfondir. Management, marketing, benchmarking, tous ces concepts que j’utilisais depuis des années sans pouvoir les expliquer… Cela m’a conforté dans ce que j’avais mis en place… » Deux diplômes acquis sur le tard qui font aujourd’hui sa fierté mais ne lui font pas, pour autant, regretter sa scolarité en dilettante. « Si j’avais suivi un cursus universitaire, je ne me serais pas orienté vers les services à la personne et n’aurais pas trouvé ma voie, celle d’aider les autres. » Une analyse imparable.