Jérôme Prince
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Jérôme Prince

Noblesse de robe.

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Photo de Jérôme Prince
« La notabilité n’a pour moi aucun intérêt. Mais la position de président de tribunal de commerce donne la possibilité de rencontrer les bonnes personnes pour faire bouger les choses au profit des entreprises qui arrivent jusqu’au tribunal de commerce ». (Crédit : JDP)

Il est tout sourire et ton chaleureux. Mais qu’on ne s’y trompe pas : Jérôme Prince, président du tribunal de commerce de Dijon depuis 2017, s’est tanné le cuir au fil de quelques péripéties professionnelles, où il a dû apprendre à digérer les pressions et les coups bas politiques, les intimidations et les désillusions aussi. Des épreuves dont il est sorti « renforcé » et qui, lorsqu’il endosse la robe de juge consulaire, lui permettent d’avoir la fermeté et le recul nécessaires aux conseils avisés comme aux décisions, aussi difficiles soient-elles à prendre. Et il n’aura pas été épargné… Issu d’une famille de courtiers en vins et spiritueux, courtier lui-même, Jérôme Prince est né et réside à Beaune – « une chance » - affirme-t-il, qui lui permet malgré une position éminemment sensible à Dijon, d’être indifférent aux influences du sérail local.

Triangle infernal

Président national des courtiers depuis 2013 (environ 350 professionnels en France qui négocie « de 70% à 100% du BtoB selon les régions viticoles »), il sera en première ligne lorsqu’en 2014 le ministre de l’Économie Arnaud Montebourg se met en tête de réformer les professions réglementées. Un remaniement ministériel plus tard, c’est Emmanuel Macron qui le remplace à Bercy dans le gouvernement Valls II. « Je me suis retrouvé avec ma petite valise pour aller à Matignon, se souvient Jérôme Prince. Au milieu d’un triangle Valls/Macron/Hollande » et de querelles d’égo alors qu’il en allait « de la survie de la profession » profondément ubérisée par un projet de réforme qui notamment, balayait toute exigence de qualification. Jérôme Prince se souvient d’heures passées dans des salons surchargés de dorures, à plaider la cause de sa profession devant des conseillers ministériels impassibles.

« Résister aux influences, c’est la condition de la confiance en la justice. En cette matière, il ne peut pas y avoir de suspicion. »

Décembre 2015 : malgré les assurances du gouvernement, une ordonnance met à bas ces mois d’implication. L’appui viendra de l’Assemblée nationale grâce à un amendement déposé par le député de la Gironde Gilles Savary dans le cadre de la loi Sapin 2 - Michel Sapin ayant succédé à Emmanuel Macron à Bercy... Adopté en 2016, il ne verra son décret d’application sortir seulement qu’en 2020. « C’était une stratégie de l’épuisement », analyse Jérôme Prince. « Ça donne de bonnes leçons. Mais aussi la certitude que je sais aller au bout de ce que je crois juste ».

« Merci » pour le chocolat !

Parallèlement à ces montagnes russes ministérielle et parlementaire, Jérôme Prince avait, depuis 2002 à Beaune d’abord, à Dijon ensuite, endossé la robe de juge consulaire. En 2008, il est vice-président du tribunal de commerce de Dijon et président de la Chambre des sanctions. Il doit faire face aux interdictions de gérer, aux faillites personnelles, aux responsabilités pour insuffisance d’actifs. C’est là qu’en 2017, le cueillera la retentissante affaire de la Chocolaterie de Bourgogne.

Alors que la vénérable maison se débat depuis des années dans des difficultés financières, le 4 août 2017 un coup de tonnerre ébranle tribunal de commerce : son président Alain Tapie, Yves Mazo (président de la Chambre des procédures collective) et Pierre Santipieri (président de la Chambre du contentieux général) démissionnent. Jérôme Prince doit assurer l’intérim et se retrouve donc avec ce dossier où il apparaît vite que la politique locale pèse de tout son poids pour éviter la liquidation.

Placée en redressement judiciaire à la fin d’octobre 2017, la Chocolaterie de Bourgogne sera reprise par l’espagnol Lacasa en février 2018, à nouveau mise sous la protection du tribunal de commerce en février 2021, avant d’être liquidée en mars. Inutile de préciser que Jérôme Prince aura, durant tout ce temps, subit son lot de tentatives d’intimidation. Mais il l’affirme : c’est sous la pression qu’il a forgée sa conviction que « résister aux influences, c’est la condition de la confiance en la justice. En cette matière, il ne peut pas y avoir de suspicion ».

Réélu président du tribunal de commerce en décembre 2021 - le mandat court jusqu’en 2025 - Jérôme Prince a investi et renforcé le service amiable où il reçoit les chefs d’entreprise en toute confidentialité dans un contexte économique très dégradé après la reprise post-Covid. « On a eu une explosion des liquidations l’année dernière, on retrouve le niveau de 2019, avec un effet ciseau : coût de l’argent, problème de recrutement, coût de la main-d’oeuvre et baisse de la demande. » Son conseil impérieux aux dirigeants : venir avant qu’il ne soit trop tard. « Le déclencheur c’est le problème de trésorerie qui est le reflet de situations dégradées. »

Écouter les chefs d’entreprise

« Les chefs d’entreprise qui se présentent au tribunal arrivent à bout, dit encore Jérôme Prince, avec l’impression qu’ils n’ont pas été écoutés. Alors je prends mon temps ». Il faut bien cela pour enseigner certaines vérités a priori contre-intuitives comme le fait que seule une entreprise endettée peut bénéficier de la protection du tribunal de commerce. Ou que prendre le parti de liquider ou de se séparer d’une partie des salariés pour sauver une entreprise doit être envisagé comme un acte de gestion. « Le tribunal de commerce fonctionne, parce que la compréhension est directe, nous sommes tous des chefs d’entreprise ».