Kristina Morlot
Invités / Entretiens

Kristina Morlot

Délicieuse expatriée

Lecture 8 min
Kristina Morlot
Après 300.000 € d’investissement et de travaux plus tard, le restaurant Les délices de Kristina ouvre en mars 2019 avec une cinquantaine de couverts et trois salariés. (Crédit : JDP.)

Elle n’imaginait pas du tout sa vie en France mais plutôt dans sa Lituanie natale. Kristina Morlot, une jolie brune aux yeux bleus de 38 ans, a grandi dans un petit village d’une centaine d’âme dans ce pays balte. Bien que sa mère ait d’abord été architecte et son père électricien, tous deux ont changé de voie pour gérer une petite ferme familiale. « Nous faisions des fruits et légumes sur dix hectares, nous avions sept ou huit vaches, quelques chèvres, des moutons et des poules. Nous vendions nos productions sur les marchés avec mes frères. » Malgré le coeur mis à l’ouvrage, les parents de Kristina Morlot imaginaient un autre parcours pour leurs cinq enfants. « Même si l’été on travaillait à la ferme, ils nous ont toujours encouragé à faire des études. » Après son bac, Kristina part à Vilnius et opte pour un diplôme de décoratrice d’intérieur qu’elle obtient en 2009.

L’imprévu qui chamboule tout

Après ses études, elle enchaîne les petits boulots en étant notamment assistante d’un architecte d’intérieur. Elle fréquente toutefois encore les soirées étudiantes et rencontre Alexandre Morlot, venu à Vilnius pour y suivre un autre cursus. Après s’être croisé ponctuellement, le jeune homme doit rentrer en France et cherche à revoir Kristina Morlot pour lui faire ses adieux. « Depuis ce moment, on ne s’est plus vraiment quittés », sourit l’élégante trentenaire. Mais les kilomètres qui les séparent obligent les tourtereaux à prendre une décision. « Je ne rêvais pas de venir en France. Un peu chauvine, je préférais rester en Lituanie et je pensais que comme il avait étudié ici, il viendrait y vivre. » Finalement, de discussions en compromis, Kristina Morlot rend son appartement, salue sa famille, prépare deux valises et débarque en Côte-d’Or en novembre 2010, à Dijon d’abord.

Les bases d’une nouvelle vie

Alors que le couple communiquait en anglais, la jeune femme apprend peu à peu le français. En parallèle, elle devient femme de ménage avant de rejoindre un cabinet d’architecture. « J’ai senti que sans parler le français, je ne pourrais pas travailler. Mon niveau était insuffisant même si j’apprenais le vocabulaire professionnel. » Son diplôme lituanien n’ayant pas d’équivalence en France, l’expatriée saisit l’opportunité de changer de parcours plutôt que de refaire un cursus complet. Passionnée de cuisine et de saveurs, sans doute un héritage de la ferme familiale, elle intègre l’AFPA pour dix mois de formation. En 2013, elle obtient son titre professionnel de cuisine et est aussitôt embauchée. Elle passe un temps par différentes cuisines, aussi bien en collectivité qu’en restauration traditionnelle.

Oser se lancer

En mai 2014, elle décide de débuter en parallèle son activité de chef à domicile : Les délices de Kirstina. « Le concept était encore jeune et à ma connaissance, n’existait pas à Dijon. J’allais cuisiner chez les gens pour 8 à 12 convives. » Encouragé par ses beaux-parents, le bouche à oreille fait son oeuvre et très vite la demande grandit. Kristina Morlot se retrouve à cuisiner pour des tablées de près de 200 convives, intervenant dans les réceptions. « J’ai dû arrêter de travailler en restaurant pour me consacrer pleinement à cette activité. » Après cinq ans à ne pas compter ses heures, à s’adapter à chaque cuisine où les contrats la conduisent, Kristina Morlot décide de franchir une nouvelle étape.

Avoir sa propre cuisine

« L’activité de cheffe à domicile m’a permis de voir si j’étais capable de le faire, de gérer les stocks, des équipes, de me faire une clientèle. » Rassurée sur ses compétences, elle met en avant son mari, soutien des premières heures, qui a toujours cru en elle et dont elle ne dissimule pas sa fierté. « Nous avions déménagé à Magny-les-Aubigny, où vivent mes beaux-parents. Un jour, en passant à Brazey-en-Plaine, Alexandre a vu un restaurant à vendre. Il m’a poussée à me lancer. » Enthousiaste, inquiète, dubitative… Kristina Morlot, alors jeune maman, hésite un temps, notamment à cause de l’ampleur des travaux à réaliser. « Mon beau-père, dans le bâtiment, et Alexandre, ont chiffré les travaux et étaient prêts à les faire. » Il ne restait plus qu’à convaincre les banques de soutenir le projet. « Ça a été difficile car on me faisait remarquer qu’en tant que femme, je pouvais tomber enceinte, mettant en péril l’activité », regrette la restauratrice.

Misant sur les produits frais et locaux, souvent bio, la cheffe s’applique à faire une cuisine « qui vient du coeur » et dans laquelle elle « s’éclate aux fourneaux. »

Finalement, le couple trouve un financeur qui croit comme eux au projet dans lequel ils mettent toutes leurs économies et beaucoup de coeur. 300.000 € d’investissement et de travaux plus tard, le restaurant Les délices de Kristina ouvre en mars 2019 avec une cinquantaine de couverts et trois salariés. D’abord tournée vers une cuisine traditionnelle, la cheffe profite de la crise sanitaire pour repenser son offre. « La covid m’a aidée à comprendre que je ne faisais pas une cuisine qui me plaisait. » Misant sur les produits frais et locaux, souvent bio, la cheffe s’applique à faire une cuisine plus recherchée, « qui vient du coeur » et dans laquelle elle « s’éclate aux fourneaux. » Comme la décoration du restaurant, qu’elle a voulu élégante, cosy et chaleureuse, sa cuisine est raffinée et gourmande. La clientèle n’hésite pas à venir de Dijon ou Beaune pour déguster ses plats. Première femme à devenir cheffe ambassadrice des savoir-faire 100 % Côte-d’Or en novembre dernier, elle ambitionne de décrocher d’autres labels valorisant son travail avec les producteurs locaux. « Je ne cherche pas d’étoile », conclut la restauratrice qui a eu un second enfant et qui réalise désormais un peu plus de 200.000 € de chiffre d’affaires.