Certes, on peut de prime abord penser que « Sculpteur sur fruits et légumes » est la réponse parfaite à un hilarant Kamoulox, mais il faut bien avouer que la capacité qu’a Laurent Boucheron de prendre n’importe quelle pomme ou carotte et de les transformer en quelques minutes en… autre chose de beaucoup plus beau et poétique est assez ahurissante.
Ici, une fleur. Là, un poisson. Un oiseau. Un visage… Pourquoi, me direz-vous ? Tout d’abord pour la beauté de la chose, et puis pour la magie de rendre une table moins prosaïque et basique qu’elle ne l’est vraiment, la joie de sortir de la description naturaliste à la Zola pour errer du côté du surréalisme assumé.
Silence, ça tourne !
Mais commençons par le commencement. Laurent Boucheron n’est pas arrivé à la sculpture comestible – car oui, ses créations se dégustent – par hasard. Détenteur d’un CAP-BEP en école hôtelière (il a terminé second du département de la Côte-d’Or) et donc cuisinier de métier, il travaille tout d’abord les légumes de manière habituelle : en les tournant. Il est assez logique qu’il ait continué… en les détournant.
Pour des raisons de santé, il doit arrêter la cuisine mais reste dans les métiers de bouche en obtenant un diplôme de prothésiste dentaire. Et puis l’appel du terroir se révèle plus fort que celui de la mâchoire et il s’engage finalement chez un primeur. Là, c’est la stupeur : « On avait des paniers composés de légumes en bâtonnets avec deux bouts de persil plat fané… et je livrais ça avec la honte au ventre car je trouvais ça moche, même si les clients n’étaient pas aussi dérangés que moi et n’en avaient rien à faire. »
l’appel de la corée
C’est alors que Laurent Boucheron découvre sur Internet la vidéo d’un Coréen. Fort bizarrement, celui-ci ne fait pas de K-pop mais sculpte une pastèque. C’est la révélation : il va rendre les légumes beaux avant d’être bons. Il essaye chez lui avec de nombreuses lames, mais rien ne fonctionne. « Je me suis finalement fabriqué une sorte de stylet en usinant un couteau pour pouvoir tailler moi-même quelques légumes, et ça m’a énormément plu. »
Sûr de lui, il contacte en mai 2017 William Hermer, un champion de France de sculpture sur fruits et légumes, afin d’être sérieusement formé à cet art si peu médiatisé. Au bout de deux jours intensifs et plus de 40 kilos de légumes débités à la main, Laurent est prêt à passer à une autre formation à la Chambre des Métiers… celle d’auto-entrepreneur.
Oeuvrer sans tomber dans les pommes
C’est ainsi que Laurent Boucheron se lance à son compte, multipliant les événements pour s’entraîner. Et il va littéralement tout essayer : oeuvrer sur le plus de supports possibles, chercher de nouvelles techniques… Il va même jusqu’à sculpter une lentille en forme de fleur ! Mais l’art est excessivement éphémère et ne supporte pas la conservation, ce qui signifie que Laurent doit avant chaque prestation travailler sans se reposer.
« Sous vide ou congélation : rien ne fonctionne. Il faut sculpter la nuit précédant l’événement. J’ai déjà travaillé plus de 40 heures sans dormir. C’est compliqué quand on doit livrer ! ». Car c’est cela, l’envers du décor : on s’échine seul pendant la nuit pour mener à bien des commandes dantesques (jusqu’à 2.400 pièces d’une traite), et on livre le tout sans fermer les yeux une seule fois… quand il ne faut pas rester éveillé encore une journée s’il y a un stand à tenir.
Mais le résultat en vaut largement la peine. Les enfants qui admirent son travail sont émerveillés, les parents époustouflés. Et la cerise sur le melon, c’est que tout ce boulot se boulote. « Mes créations sont faites pour être mangées par les yeux, puis par la bouche. Tout est comestible, c’est vraiment important pour moi. » On aurait presque honte de déguster un passereau aux plumes sucrées ou une caricature grimaçante gravée dans un butternut, mais ce serait dommage de ne pas en profiter avant que tout cela ne dépérisse.
Malgré tous les efforts de notre expert et parce que le travail est dur et surtout solitaire, cette passion reste difficile à conjuguer avec une rentabilité pérenne. Laurent travaille donc en parallèle de son activité culinaire, mais avec un objectif clair : « À ma retraite, je compte faire ça encore dix ans pour encore me perfectionner ».
Le fruit de son labeur
De doux rêveur à la tête dans les légumes, Laurent a fini par devenir une figure emblématique de la gastronomie côte-d’orienne. La consécration ? « Le samedi 7 décembre 2019, un reportage sur moi a été diffusé au journal de 20h de TF1. »
Ça donne envie d’essayer, non ? Eh bien c’est possible, puisque comme toute personne ayant un réel talent, Laurent Boucheron est présent sur de nombreux salons et partage maintenant son savoir dans des ateliers permettant à tout un chacun de se lancer sans aucune connaissance préalable dans l’aventure de l’art culinaire. Vous pourrez y apprendre que d’une manière contre-intuitive le citron est à proscrire comme moyen de conservation car il cuit et change la structure et la qualité du produit. Ou que la période des courges est la plus créative car leur chair plus ferme permet une liberté bien plus grande.
Ou alors vous vous contenterez de sculpter délicatement une pomme en forme de fleur, de la regarder avec un air satisfait avant de l’engloutir avec gourmandise. Qui a dit que l’art ne nourrit pas son homme ?