Laurent Peugeot avait 27 ans lorsqu’il a ouvert Le Charlemagne, son restaurant aux influences nippones assumées à Beaune. Et c’est le jour de ses 50 ans, après un an de travail en commun, qu’il a cédé l’adresse à celui qui fut son second entre 2021 et 2023, Rudy Villien (27 ans lui aussi !) et à sa compagne Léa Matéos. « J’en ai refusé des propositions alléchantes !, assure Laurent Peugeot. Mais avec eux, j’avais le couple idéal pour reprendre. L’adoption est réellement très très belle et le financier est passé au second plan ».
2024, Laurent Peugeot l’a passé auprès de ses fils, notamment le plus jeune, Enzo, pilote de course professionnel au début de carrière prometteur. Une première car dans la vie d’un chef, étoilé qui plus est, il reste peu de temps pour la famille... « Je n’ai jamais passé de si beaux moments », confesse Laurent Peugeot. Pour autant, la cuisine lui manquait : c’est donc avec attention qu’à l’été 2024 il écoute Patrick Jacquier, le patron du groupe Hôtel Bourgogne Qualité lorsque celui-ci lui propose de repenser l’offre de restauration de La Cloche, le cinq étoiles dijonnais dont le chef Aurélien Mauny est brutalement décédé quelques mois plus tôt. Laurent Peugeot vient en observateur, « pour comprendre, sentir le bâtiment », avant d’accepter : « C’est un challenge super beau, dans un établissement exceptionnel », sourit-il.
Des jardins by la Cloche au Brunch
La patte Peugeot va s’affirmer petit à petit, d’abord dans le restaurant Les Jardins by La Cloche, en commençant par la base : le produit. La veille de notre rencontre, le chef était avec Laetitia Caudrelier, première cheffe de partie, chez Patrice Sanchez à Ladoix-Serrigny, qui élève les pigeons de Bresse désormais à la carte à La Cloche. Les légumes viendront de « chez Mathieu » (Lotz, Le potager des Ducs), la viande Angus maturée 30 jours servie avec de l’ail noir... « L’ambition de cette carte est d’être authentique sur le produit, précis dans les cuissons et l’assaisonnement... L’équipe est enthousiaste, tout le monde a été dans le même sens », se réjouit Laurent Peugeot.
Cette exigence va, au fil des mois, s’étendre à la carte du bar, au room-service, aux brunchs et au banqueting (restauration évènementielle) appelés à se premiumiser, sans tomber dans la facilité. « C’est à nous de ne pas avoir honte de mettre à la carte de nos restaurants du maquereau, des abats et de les travailler avec respect. C’est trop facile de faire rêver avec de la truffe et du caviar ».
Des étoilés au soleil levant
Respect, produit, exigence. Pour le cuisinier passé par de très beaux établissements dont celui de son mentor Jacques Lameloise (Maison Lameloise***) - « un parcours très, très strict, très influent, très bénéfique »- , la première école hôtelière fut sans doute la maison de « Grand-Père et Grand-Mère », chez qui le jeune Laurent dont le père avait quitté le domicile, trouve un nid rassurant. Il se souvient encore avec une émotion visible des moments passés avec son grand-père dans le potager, des effluves du coq au vin envoûtant la grosse marmite culottée de sa grand-mère : une éducation à la sensorialité, à l’effort, au temps passé - « On n’a rien inventé ! La cuisson basse température, c’était la cuisinière à charbon de grand-mère, où ça cuisait toute la nuit ! La chose qui a changé, ce sont juste les fours ! » -, autant de choses dont il regrette qu’elles ne soient pas enseignées aux gamins d’aujourd’hui...
« C’est trop facile de faire rêver avec de la truffe et du caviar. »
La suite de son parcours est encore marquée par une absence : promis à un brillant avenir en France, Laurent Peugeot perd brutalement son frère. Il rejoint celle qui deviendra la maman de ses deux garçons dans son pays d’origine, le Japon. Le tout jeune homme se retrouve chef dans plusieurs restaurants, apprend le japonais en six mois... « Je me suis adapté au pays, par respect ».
La cuisine nippone qu’il expérimente lui semble familière au moins dans son amour du beau produit ; Laurent Peugeot se souvient notamment avoir travaillé « des sojas affinés comme s’il s’agissait de vins ». Après l’Asie, retour en France où Laurent Peugeot reprend Le Charlemagne à Pernand-Vergelesses, qui ouvre ses portes en 2001. Dans cet établissement « où je rêvais de m’épanouir », Laurent Peugeot cultive son potager, source avec un soin maniaque et gourmand ses produits et introduit à un moment où ce n’était pas la mode, des notes nippones au pays beaunois... « J’ai balayé les critiques ! ». Tellement balayées qu’il ouvre en 2005 une deuxième adresse en plein Beaune, le SushiKai. 2005, année héroïque : Le Charlemagne est fermé, Laurent Peugeot charrie des brouettes de terre pour refaire une beauté à l’avant du restaurant quand il apprend que le guide Michelin lui décerne une étoile. « Je ne m’y attendais pas si tôt. J’ai bâti ce restaurant de mes mains, je ne pensais pas que sa décoration était au niveau des exigences du Michelin... »
Le désir de transmettre
Il passe désormais tous les matins devant Le Charlemagne, certain que Rudy Villien saura lui conserver l’exigence avec la fougue de la jeunesse. Cette jeunesse qui caractérise aussi la brigade de La Cloche, qu’il entend désormais voir transcender ses limites... Pas de rêve d’étoile ici, mais le désir de transmettre : « Aujourd’hui, je donnerai de mon expérience à qui me demande. Si les jeunes s’adressent à moi, et montrent de la passion et de l’envie, je remuerai ciel et terre. »