Le 83 de la rue Chabot-Charny à Dijon abrite la plus ancienne pâtisserie-chocolaterie de la ville notamment fameuse pour ses desserts l’Ananas et le Charny. D’ailleurs, l’intérieur n’a pas tellement changé : au sol des carreaux de ciment ainsi qu’une vieille balance participent à entretenir l’ambiance de la boutique d’antan.
« C’est une pâtisserie depuis 1900. À l’origine, c’est une religieuse qui l’a créée. Cette maison a connu de nombreux rebondissements et cette aventure familiale n’a pas toujours été un long fleuve tranquille », retrace Sylviane Mourot, actuellement à la tête de l’établissement.
L’affaire familiale a véritablement débuté en 1943 lorsque son oncle et sa tante, Raymond et Odette Baud, propriétaires de la pâtisserie éponyme à Besançon fondée en 1923 par Johanness Baud (le frère de Raymond Baud), ont acheté la boutique. « Mon père a connu ma mère en faisant son apprentissage ici et ils se sont mariés en 1955. »
Sylviane Mourot, issue de la quatrième génération de pâtissiers-chocolatiers, est quant à elle née quelques années plus tard, en 1958.
« La pâtisserie est une histoire de famille et j’ai toujours vécu dans le travail. Quand on travaille dans les métiers de bouche, on n’a pas une vie comme tout le monde. Je n’ai jamais connu le repos. En fait, quand on exerce un métier pareil, c’est presque comme si on entrait en religion : on s’oublie. Et on vit pour le plaisir des autres. J’ai très vite intégré le fait que si on veut réussir dans ce domaine, il faut se donner à fond, ne pas compter ses heures. La famille est alors mise entre parenthèses. Mes souvenirs d’enfance sont très différents de ceux de mes camarades ! »
« Quand on exerce un métier pareil, c’est presque comme si on entrait en religion : on s’oublie. Et on vit pour le plaisir des autres. »
Elle raconte : « Très tôt, j’ai commencé à aider ma maman en boutique : mon premier travail consistait à ouvrir la porte aux clients et à les raccompagner. C’est ma mère qui m’a appris la vente puis vers l’âge de 10-12 ans, j’ai eu envie d’aider mon père. Quand l’apprenti était absent, je m’installais au laboratoire et je fonçais les tartes, j’aidais à la confection des viennoiseries, je blanchissais les amandes, les émondais... On faisait beaucoup de choses qu’on ne fait plus maintenant... J’étais aussi chargée de la plonge et du nettoyage des plaques et puis j’aidais mon père à la réalisation de sa spécialité : la tarte Conversation (un dessert créé au XVIIIe siècle à base de crème d’amande et de glace royale recouvert de losanges en pâte feuilletée, Ndlr). Mon père était très exigeant : je n’avais pas intérêt de faire des losanges plus gros qu’il ne le fallait ! Depuis le plus jeune âge j’ai été habituée à la précision et j’ai grandi en observant mon père confectionner des desserts et sculpter du chocolat : c’était un vrai artiste. »
Mais alors que tout prédestinait cette arrière-petite fille de pâtissiers à prendre le relais, Sylviane Mourot a choisi un parcours différent : « À l’adolescence, j’étais tentée par une carrière dans le secteur de l’hôtellerie mais une professeure m’a fait découvrir le milieu médical et je me suis rendue compte que ça me plaisait énormément », confesse-t-elle.
Pendant 20 ans, Sylviane Mourota alors exercé comme secrétaire médicale et responsable pour personnes handicapées. En 1997, l’histoire familiale la rattrape et elle prend la décision de tout plaquer pour racheter la boutique à ses parents.
« Mon mari, qui n’était pas non plus du métier, s’est converti à la pâtisserie. Il a passé son CAP et a travaillé quelques temps avec mes parents avant de reprendre l’établissement. Les débuts n’ont pas forcément été évidents mais ce sont des épreuves que nous avons appris à surmonter. Puis de fil en aiguilles, mon mari est devenu professeur à l’École des métiers de Longvic. »
S’imposer dans un univers essentiellement masculin
À l’époque, Sylviane Mourot faisait partie des rares femmes à tenir une
pâtisserie-chocolaterie d’une telle renommée le tout, sans être formée au métier : « On ne m’a pas fait de cadeaux. Beaucoup pensaient que je ne tiendrais pas le choc. J’ai donc décidé de me battre, j’ai saisi des
opportunités, pris des initiatives... Et quand j’ai passé mon CAP à seulement 49 ans, le rythme était plutôt difficile à tenir entre les études, le travail manuel tout en continuant de m’occuper de la vente au magasin, bref une difficulté supplémentaire qui m’a fait comprendre que pour réussir à traverser toutes les épreuves qu’on rencontre, il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers. La remise en question et la recherche de l’amélioration perpétuelle sont primordiales surtout dans ce métier où les clients sont les seuls juges. »
Justement, sa curiosité et sa quête de perfectionnement l’ont précipitée dans l’univers du chocolat : « Tout a basculé en 2008. Cette année là, je me suis rendue à une exposition des œuvres de Camille Claudel à Dijon et j’ai été complètement bouleversée tant par les œuvres présentées que par l’histoire de Camille Claudel, internée. J’ai eu comme un déclic. C’était une vraie révélation qui m’a poussée à reproduire le Baiser de Rodin en chocolat alors que je n’avais encore jamais fait ça de ma vie. J’ai seulement grandi en voyant mon père sculpter du chocolat.
Je me suis donc attelée à la confection de l’œuvre. Je me suis tellement emportée qu’il ne m’a pas fallu plus d’un après-midi
pour en venir à bout ! Puis je me suis mise à réaliser des mains, pièces phares de l’artiste. Je me rappellerai toujours de ce fameux samedi après-midi où des clients sont venus m’acheter des mains qu’ils venaient de voir dans la vitrine. Il s’agissait en fait des organisateurs de l’exposition qui souhaitaient en offrir à la nièce de l’artiste qui m’a d’ailleurs vivement remerciée par la suite. C’était une reconnaissance », affirme-t-elle.
Des œuvres de Claudel à l’emblématique Ours Pompon dijonnais, Sylviane Mourot n’a eu de cesse de repousser ses limites en matière de sculpture sur chocolat.
« La commercialisation de l’Ours n’a pas été une mince affaire. J’ai d’abord dû créer un moule que j’ai fait breveter ainsi que le modèle... Et même si c’était un monument emblématique de Dijon, personne n’en voulait. C’est à force de persévérance que j’ai réussi à l’imposer et à intéresser le Grand hôtel La Cloche qui souhaitait offrir un Ours Pompon en chocolat à tous ses clients VIP. Puis j’ai arrêté d’en produire en 2013 pour finalement me remettre à en confectionner depuis quelques temps, poussée par le désir de sensibiliser la clientèle sur les enjeux du réchauffement climatique », raconte-t-elle.
Pour celle qui se définit comme une « gourmande de la vie », le quotidien à imaginer des créations, à les dessiner ou à réaliser des patrons rime avant tout avec plaisir.
« Je fais surtout ça pour m’amuser, le chocolat m’attire. Ce n’est sans doute pas un hasard si j’ai toujours adoré les fêtes de Noël et de Pâques ! »
« Le travail de cet ingrédient est magique pour moi car la matière se transforme, elle durcit, interviennent des parfums, des couleurs... Je considère l’esthétique comme très importante car l’émerveillement que je peux déceler dans les yeux des enfants qui s’arrêtent devant la vitrine est mon plus beau cadeau, ça me fait tellement chaud au cœur.
D’autant plus qu’il s’agit d’un travail de passion. Néanmoins, le travail sur les saveurs est primordial : j’aime particulièrement utiliser les chocolats fruités pour obtenir un maximum de gourmandise. »
Grâce à elle, les techniques familiales transmises de générations en générations perdurent : « Les recettes sont celles de mes ancêtres même si nous les actualisons légèrement pour être à jour. »