Le succès à l’anis
Catherine Troubat. À la tête de la célèbre fabrique des Anis de Flavigny, elle est la cheffe d’une entreprise mondiale qui revendique un savoir-faire artisanal.
À la terrasse du Café des Anis, Catherine Troubat est chez elle. Et pour cause, depuis 58 ans, la présidente des Anis de Flavigny – Entreprise du patrimoine vivant (EPV) depuis 2016 dont les célèbres bonbons s’exportent dans 40 pays – vit entre des murs abbatiaux vieux de 14 siècles : « Toute petite déjà, je rêvais de refaire l’Abbaye, j’allais voir les clients avec mon père et je voyais les importateurs venir manger chez ma grand-mère, juste là, au rez-de-chaussée ». Si aujourd’hui, la fabrique rachetée en 1923 par son grand-père Jean produit 200 millions de bonbons par an et emploie 30 salariés, Catherine Troubat se revendique artisan : « Nous sommes artisans parce que nous avons un savoir-faire ». Et cet esprit de « l’entre nous » n’est pas qu’un filon marketing pour celle qui a étudié la communication et le marketing avant de devenir « apprentie patronne » auprès de son père en 1990 puis de reprendre les rênes de l’entreprise en 1999 : « De temps en temps je m’assieds en terrasse et je regarde vivre le cloître. Ou, lorsque je m’arrête dans une station-service, je regarde les gens prendre une boîte, deux boîtes de nos anis ».
430 ans et dans l’air du temps
L’anis de Flavigny, à la recette inchangée depuis l’origine (une graine d’anis dragéifiée par du sirop dans des cuves de cuivre rotatives durant 15 jours) est en Bourgogne, mais aussi en France, une véritable institution, inventé il y a plus de 430 ans par les moines de l’abbaye. Confisquée lors de la saisie des biens ecclésiastiques en 1789, la fabrique est rachetée par Jean Troubat, grand-père de Catherine Troubat, en 1923 à Jean-Edmond Galimard. Ce dernier, ami du Dijonnais Gustave Eiffel avait obtenu lors de l’exposition universelle de Paris en 1889, un stand sous la Tour Eiffel : « C’est à ce moment là que les Anis se sont fait connaître dans le monde entier ». Jean Troubat « un créatif qui a su s’entourer de techniciens » lance la réclame, installe les premiers distributeurs dans le métro et mise déjà sur le tourisme industriel en initiant les visites de l’entreprise.
« À partir du moment où nous sommes artisans, les consommateurs veulent voir comment nous travaillons ».
Son fils Nicolas « Un technicien qui a su s’entourer de créatifs » va développer l’entreprise, créer le slogan toujours d’actualité « Le bien bon bonbon » et multiplier par trois la production. Catherine, elle, va moderniser et développer l’outil de production, distribuer les Anis de Flavigny dans les jardineries et les aéroports, créer une gamme bio et miser encore davantage sur le tourisme : « À partir du moment où nous sommes artisans, les consommateurs veulent voir comment nous travaillons ». Et ce sont chaque année près de 100.000 visiteurs qui entrent dans la boutique, sillonnent le cloître, découvrent le procédé de fabrication dans la salle de projection ou en visitant l’atelier de fabrication, et depuis peu, le musée, à la rencontre du savoir-faire et de l’histoire des Anis de Flavigny : « Nous sommes dans l’air du temps. L’intérêt pour ce qui est artisanal, local est en pleine progression. Et depuis que nous avons transféré, il y a trois ans l’atelier d’expédition dans un autre bâtiment, nous avons pu rouvrir le cloître et le voir revivre ! ».
L’amour du métier
Alors comment résister et rester « familial » dans un commerce toujours plus mondialisé ? : « Les fournisseurs sont de plus en plus gros, que ce soient les sucriers, les aromaticiens, les fabricants de boîtes métalliques, alors, comme nous sommes tout petits, il me faut chaque fois trouver la personne au sein de ces groupes qui va être sensible à l’amour du métier ». Et même si les compétences sont de plus en plus difficiles à trouver, si les groupes industriels tentent d’imposer leurs tarifs, Catherine Troubat maintient le cap : « Je ne suis pas marchand de tapis. Nous parlons d’un produit de qualité, que les consommateurs veulent local et abordable. Et cela devient un vrai travail de trouver les petits producteurs avec qui nous allons travailler. Il faut désormais aller les débusquer ».
Un esprit d’équipe
Une évolution du métier aggravée par la crise sanitaire du Covid 19 : « Si nous maintenons notre production (-5% en volume de vente par rapport à 2019 et -8% en nombre de visiteurs), il y a une véritable tension sur les matières premières et nous travaillons ensemble avec Roseline (Ndlr : Jauvain, assistante de communication et de promotion) pour anticiper les besoins. C’est un gros travail et j’ai la chance d’avoir une équipe qui ne cesse de monter en compétences ». Car c’est là l’une des particularités de Catherine Troubat et de l’esprit de l’entreprise : « Ici, il y a presqu’une transmission des savoir-faire. Par exemple l’arrière-grand-père du responsable de la logistique était déjà dans l’entreprise à ce même poste. Et nous travaillons véritablement en équipe ». Une concertation permanente pour celle dont Roseline dit qu’elle a « beaucoup d’idées » et qui répond à un enjeu : « J’ai 58 ans, je reconnais que parfois je peux être dépassée par les demandes des consommateurs, les méthodes marketing, comme les réseaux sociaux. Alors, quand j’ai une idée, j’en parle avec l’équipe qui me dit quand je suis dans le bon chemin ou si je m’égare. Mais je connais les lignes rouges à ne pas franchir. Je reste avant tout une cheffe d’entreprise et même si je suis têtue, je me repose beaucoup sur les compétences de ceux qui travaillent avec moi. »
« Aujourd’hui encore, je m’amuse bien »
Vingt-deux ans après la prise de direction, se pose, déjà, la question de la succession : « Je me prépare doucement, notamment en m’appuyant sur mes collaborateurs pour être capable de déléguer davantage et de rester plus longtemps. Je ne veux pas avoir à penser ma succession quand je serai au pied du mur, fatiguée ou trop âgée ». Sans enfants, avec des neveux et nièces qui « pour le moment n’ont pas montré de volonté de reprendre la fabrique », Catherine Troubat reste lucide : « Les Anis de Flavigny ont appartenu aux moines, puis aux Galimard, ensuite aux Troubat. Ils pourront appartenir à une autre famille. Le plus important est qu’ils restent aux mains de gens qui auront l’amour du métier et du produit ».
En attendant cette échéance, encore lointaine, Catherine Troubat continue de restaurer l’Abbaye, comme elle en avait rêvé à dix ans, de développer le tourisme industriel initié par son grand-père et de moderniser l’outil de production : « Mon grand-père m’a appris à regarder et à m’amuser. Mon père m’a appris à écouter. Et aujourd’hui encore je m’amuse bien ! ».