Loïc Sébile
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Loïc Sébile

Broadway au pays de Courbet

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Avant d’avoir sa propre compagnie et école de comédie musciale AdC, Loïc Sébile a travaillé régulièrement avec la Compagnie Evaprod en Suisse Romande et intègré les équipes créatives de Grease, Hair ou encore Jekyll & Hyde. (Crédit : JDP.)

« Ah ben mon vieux, si j’aurais su, j’aurais v’nu ! », suis-je tenté de répondre - empruntant les célèbres mots du petit Gibus, un brin arrangés pour l’occasion - à l’évocation par Loïc Sébile d’une comédie musicale, façon Broadway, de La Guerre des Boutons jouée sur les routes de France et de Suisse depuis octobre 2019 par la compagnie Allée des Cerisiers (AdC), basée à Vuillafans dans le Doubs. « Il s’agit à la fois d’une compagnie et d’une école de comédie musicale que nous avons créée avec mon épouse Pauline Pobelle et mon frère Yann Sébile. Nous sommes les seuls dans l’Est à faire ça ! Nous avons aussi créé L’Enchanteur, un théâtre à Amathay-Vésigneux », relate Loïc Sébile, également directeur de l’Orchestre universitaire Besançon Franche-Comté (OUBFC).

Solfège plutôt que saxo

Mais avant de nous prendre pour Gene Kelly, nous laissant aller à chanter sous une pluie d’été comtoise, faisons un pas de côté, claquettes au pied (of course), pour revenir sur la genèse du parcours artistique de Loïc Sébile. Enfant, il égraine ses premiers arpèges à l’école de musique d’Ornans, terre d’origine de ses parents. « À l’époque, je choisis le saxophone, un peu par défaut. Du côté de ma mère, tout le monde est musicien, influencé par notre oncle trompettiste à la Garde républicaine. La règle était alors de prendre, avec mes cousins, chacun un instrument différent. Et comme avec mon frère nous sommes les derniers de la lignée, nous avons été forcés de nous rabattre sur ce qu’il restait » : les percussions pour Yann et le son de Coltrane pour lui.

Rapidement, le jeune Loïc jouera les vilains petits canards dans cette orchestration familiale bien rodée en préférant analyser les oeuvres musicales, de l’écriture à la composition, plutôt que de souffler dans son instrument doré. Passant par le conservatoire de Besançon, il se passionne pour le solfège à Lyon avant de découvrir, à Grenoble, sa véritable vocation : la direction et l’orchestration. Il a alors l’occasion de diriger de nombreux ensembles comme Les Musiciens du Louvre, l’Ensemble national à vent d’Isère, l’Orchestre du CRR de Grenoble et l’Harmonie de Grenoble. Après une dizaine d’années passées en Rhône-Alpes, Loïc Sébile revient en BFC en 2010, la même année où il atteint les phases finales du concours international de direction d’orchestre Cadaquès-Girona en Espagne. Depuis, il dirige l’Orchestre universitaire Besançon Franche-Comté composé d’une cinquantaine d’étudiants et de personnel universitaire. Son emploi du temps est un patchwork d’engagements : en plus de l’OUBFC, il a la charge d’une harmonie en Suisse, enseigne à l’école de musique d’Ornans qui l’a formé, dirige les choeurs d’enfants et orchestres d’Ornans et de Fertans et consacre entre quatre et cinq heures par jour à l’écriture musicale. « J’écris depuis tout petit. Enfant, j’avais un vieil orgue avec lequel je cherchais à reprendre les mélodies de jeux vidéo ou de dessins animés ».

« Petit, mes cadeaux de Noël étaient souvent des places pour des spectacles musicaux à Paris. »

En tant qu’orchestrateur, Loïc Sébile est souvent qualifié de « coloriste ». Ce qu’il cherche dans la musique, c’est ce qui « soutient une image, une intrigue ». Ses références vont de la musique romantique aux grands orchestrateurs de musique de film, comme John Williams et Michel Legrand. Mais c’est une autre passion, elle aussi née dans l’enfance, qui lui a permis de donner vie à une première régionale : la création d’une école de comédie musicale. « Cet art pluridisciplinaire est une passion familiale. Petits, nos cadeaux de Noël étaient souvent des places pour des spectacles à Paris. C’est ainsi qu’avec mon frère, qui a fait le cours Florent, nous avons commencé à travailler sur l’idée d’enseigner cette discipline qui mêle théâtre, danse, chant, claquettes et acrobatie en milieu rural. Nous avons été rejoints par ma femme Pauline qui est diplômée d’une école de comédie musicale en Suisse et qui a notamment fait sept ans de cours de claquettes. »

L’aventure commence pour le trio à Quingey en 2014 avec la naissance de la Compagnie Allée des Cerisiers et de deux premiers stages donnés « au fond d’un couloir ». Aujourd’hui, l’école, implantée à Vuillafans, accueille environ une centaine d’élèves par an, couvrant tous les âges (enfants, adolescents et adultes) à partir de cinq ans. Bien que cette dernière ne vise pas à former des professionnels, elle réussit à envoyer annuellement « un ou deux élèves » vers des écoles parisiennes, qu’elle embauche ensuite parfois pour ses propres productions en tant qu’intermittents. « Notre credo est de pousser la pratique amateure au max de l’exigence ». Le terrain de jeu est résolument anglo-saxon, intégrant les codes de Broadway, « y compris le merchandising et le fameux show stopper » (clou du spectacle en bon français).

Comédies musicales et studios Ghibli

Pour faire découvrir ou de revisiter la comédie musicale, « amener à la campagne cet art profondément citadin », AdC s’est fixée pour objectif de développer des productions et des créations. En 2017, La Petite Boutique des horreurs voit ainsi le jour. Elle réunit huit comédiens-chanteurs issus de tous horizons (jazz, comédie musicale, cirque, théâtre) ainsi que neuf musiciens. Deux ans plus tard, c’est l’adaptation du roman de Louis Pergaud La Guerre des Boutons. Ce spectacle de 2h20, mêlant patrimoine comtois et exigence scénique, a réuni « des milliers de spectateurs en Franche-Comté, puis a pris la route en France et en Suisse ». La compagnie a également eu « le plaisir de jouer l’adaptation du Merveilleux voyage de Nils Holgersson en Suède, pays de l’auteur ». En onze ans, une quinzaine de shows différents ont été montés intégrant amateurs et professionnels de la scène parisienne. Un défi à la fois humain et financier. « Les droits d’un musical, c’est en moyenne 5.000 € pour le jouer trois fois, sans compter la Sacem, explique Loïc Sébile. Notre modèle repose sur le sponsoring privé, et une équipe de bénévoles incroyable qui se mobilise pour chercher des fonds ». Depuis plusieurs années maintenant, Adc intervient également dans diverses structures scolaires (écoles primaires, collèges, lycées) afin de faire découvrir la comédie musicale au plus grand nombre.

En 2018, en recherche d’une nouvelle salle pour développer tous leurs projets, le trio tombe par hasard sur la mise en vente de l’ancienne forge du village d’Amathay-Vésigneux. Le coup de coeur est immédiat : « 85 bénévoles se sont relayés pendant quatre ans pour sa rénovation. Malgré un budget initial très serré de 20.000 € nous avons donné vie en 2022 à un véritable pôle culturel dans une commune de seulement 160 habitants ». Baptisé le Théâtre de l’Enchanteur en référence au mythe arthurien et à l’ancienne affectation des lieux, le site devrait atteindre son 10.000e spectateur lors de la saison 2025-2026. Il réunit en un même endroit du cirque, de la musique, de la danse... Il accueille des compagnies professionnelles de la région et est également loué à des entreprises ou des structures amateures (écoles de musique et de théâtre). À l’avenir, l’équipe souhaite que le théâtre devienne un lieu de résidence pour les artistes (avec possibilité de logement) et puisse accueillir des voyages scolaires culturels...

Récemment, Loïc Sébile a eu la chance de pouvoir s’ouvrir au cinéma, un énième rêve d’enfant. Il a été contacté pour être orchestrateur sur l’adaptation cinématographique d’une bande dessinée pour adolescents, Les Légendaires, qui sortira sur grand écran en janvier 2026. Il collabore ainsi avec Cécile Corbel, compositrice pour les Studios Ghibli au Japon et Simon Caby. « J’avais déjà travaillé avec Cécile sur l’orchestration d’une oeuvre symphonique de son répertoire avec l’OUBFC. Ce nouveau projet confirme mon désir d’explorer à l’avenir encore davantage la musique de film. »