« J’ai baigné dans un climat d’amour de la table », résume Ludivine Griveau-Gemma quand elle évoque son enfance entre un père italien qui cuisinait pour les grandes réunions de famille et une mère qui s’attelait aux fourneaux les autres jours de l’année. Avec ses soeurs, celle qui deviendra régisseuse du domaine des Hospices de Beaune, s’amusait à reconnaître, les yeux bandés, ce qu’il y avait dans leurs assiettes.
Ludivine Griveau-Gemma n’envisageait pourtant pas de s’orienter dans une carrière où son nez et son palais seraient ses outils. « Après un bac scientifique au lycée de Tournus, je visais des études courtes pour ne pas être une charge pour mes parents. » Elle entame donc son cursus supérieur par un DUT biologie appliquée tourné vers la microbiologie et le génie des procédés. Son objectif était alors de s’orienter dans l’agroalimentaire et plus particulièrement vers la nutrition infantile.
Majore de sa promotion, elle saisit l’opportunité d’intégrer l’école d’ingénieurs Ensbana à Dijon, devenu depuis l’institut Agro Dijon. « L’École nationale supérieure de biologie appliquée à la nutrition et à l’alimentation, tout me plaisait dans le nom ! » Elle choisit les options évaluation sensorielle et génie des procédés d’agronomie adaptés à l’alimentation infantile. « Je voulais travailler sur le terrain, dans les champs. » Alors qu’elle se projetait dans un grand groupe alimentaire avec l’ambition de faire pousser les meilleures carottes pour les enfants, elle rejoint à cette époque le club d’oenologie de l’école d’ingénieurs, nouant ses premières attaches avec le vin, mais pas les dernières.
Le vin, cet imprévu
Aux vues de ses excellents résultats, l’école lui offre la possibilité de réaliser un cursus d’oenologue en un an au lieu de deux, en parallèle de sa troisième année. À nouveau majore de sa promotion sur son parcours initial, en 2000, Ludivine Griveau-Gemma termine également deuxième de son cursus d’oenologie après avoir suivi des cours dans un domaine auquel, de son propre aveu, elle ne connaissait rien. « C’est un peu d’agro, de phénomènes physico-chimiques que je comprenais mais j’ai dû m’approprier la partie viticole. »
« J’ai vite su que je voulais produire, avoir la tête dans les cuves, les mains dans le raisin et les pieds dans mes bottes. »
À tel point qu’elle envisageait d’abandonner jusqu’à ce que son chemin croise la route de Nadine Gublin, de la Maison Antonin Rodet à Mercurey. « Elle m’a donné la chance de réaliser un stage dans le domaine et de valider mon parcours. » Diplômée, elle quitte la France pour passer huit mois en Australie afin d’améliorer son anglais tout en vinifiant. Liée à la Maison Rodet, elle y retourne un temps après un bref passage en laboratoire et dans le conseil, deux expériences qui ne lui plairont pas. « J’ai vite su que je voulais produire, avoir la tête dans les cuves, les mains dans le raisin et les pieds dans mes bottes. »
En 2004, elle devient directrice technique de la Maison Corton André à Aloxe-Corton. À cette époque, elle se rend chaque année à la vente des vins des Hospices de Beaune pour lever elle aussi un paddle et acquérir des vins pour son domaine. « Je ne m’imaginais pas de l’autre côté de la vente », sourit la quadragénaire derrière ses imposantes lunettes noires.
Moderniser la tradition
Quand en novembre 2013, le régisseur des Hospices de Beaune lui annonce qu’il se prépare à la retraite, il l’encourage, à 34 ans, à candidater. Elle n’y pense pas vraiment jusqu’en janvier 2014, quand il réitère sa proposition. « J’avoue que j’ai candidaté avec une sérieuse désinvolture. J’aimais mon job mais j’étais curieuse de voir ce que ça donnerait. »
Dès le lendemain, séduit par son parcours, le cabinet de recrutement la contacte. Ludivine Griveau-Gemma passe les tests et les entretiens jusqu’à la phase finale. Elle mène son dernier oral devant le conseil de surveillance des Hospices de Beaune alors qu’elle rentre le matin même de Londres où elle arrive à la deuxième place des Winemaker en blancs, nommée par l’international Wine Challenge. Le soir même, elle apprend qu’elle a le poste mais doit garder le silence des mois durant, jusqu’à la prochaine vente des vins des Hospices de Beaune.
Elle prendra officiellement ses fonctions de régisseur du domaine et la tête de 60 hectares, 120 parcelles et d’une équipe de 23 vignerons en novembre 2015. Elle devient par la même occasion la première femme à occuper cette fonction en 200 ans d’histoire. « C’est un poste unique au monde ! »
Au-delà de sa frêle silhouette, il suffit de l’écouter parler des chantiers qu’elle a menés pour que son dynamisme et son énergie naturelle transpirent dans ses propos. Dès 2017, sous son impulsion, les produits chimiques de synthèse sont abandonnés dans les parcelles appartenant aux Hospices, les équipements évoluent, jusqu’à la certification en bio obtenue en 2024. Elle a mené d’autres importants changements. « En 2016, j’ai instauré la vinification parcellaire. Je suis une enfant des Climats, de l’ADN bourguignon mais je ne voulais pas bouleverser la tradition. Je ne sais que revendiquer ce parcellaire dans la vinification. Je ne veux pas travailler des raisins assemblés mais plutôt des parcelles puis assembler les vins. »
Dès lors, les commentaires positifs fusent. En parallèle, elle a mené un important travail avec les tonneliers pour que ces fûts, neufs, répondent à ses attentes. « J’ai aussi amené une unité de décision dans les vignes mais avec une application au cas par cas des parcelles. »
Succès en série
Ce travail mené depuis dix ans a largement contribué à l’évolution du produit de la vente des vins des Hospices de Beaune. Quand, avant son arrivée, la vente caritative réunissait environ 7,5 M€, la dernière édition qui vient de s’achever à permis à l’hôpital de profiter d’une manne financière de 18,3 M€ et a flirté avec les 30 M€ en 2022. Car, sans oublier le contexte complexe que traverse la filière viticole, Ludivine Griveau-Gemma le rappelle : « Il ne s’agit pas ici de s’enrichir mais bien d’apporter des revenus suffisants aux projets hospitaliers. Cette année encore, c’est la générosité qui l’a emportée. »