

Massar N’Diaye le dit d’emblée : « Je suis le fruit du métissage, d’un père d’origine sénégalaise qui parcourt quelques pays d’Europe avant d’arriver à Dijon où il rencontre une Dijonnaise qui est ma mère. Ce que je suis est intimement lié à cette question du métissage, de qui l’on est, de l’identité, des valeurs que l’on porte. Cela a beaucoup façonné mon adolescence et mon rapport à la société. Ma construction s’est basée, dès le début, comme une lutte contre les déterminismes. L’idée de se dire que, parce qu’on est issu de l’immigration, parce qu’on habite dans un quartier, la trajectoire professionnelle et sociale est écrite d’avance. Bourdieu m’a beaucoup aidé à réfléchir sur cette question de la mobilité sociale. Comment aujourd’hui peut-on s’émanciper ? » Ses parents, vendeurs sur les marchés, sont à quelques mètres de la clinique Sainte-Marthe où il naît à une date hautement symbolique, le 18 juin. L’enfance et l’adolescence se passent dans le quartier de la Fontaine d’Ouche où le désormais élu municipal et métropolitain, et également conseiller départemental vit toujours et a scolarisé ses enfants.
Brevet au collège Rameau, bac ES au lycée Le Castel. Celui qui se voyait bien archéologue ou prof d’histoire enchaîne sur un DUT Gestion des entreprises et des administrations, « un peu sous influence. On disait à l’époque qu’être comptable, c’était bien, c’était des métiers d’avenir. Je ne me suis pas du tout épanoui, mais je l’ai eu. Je n’avais pas préparé l’après, donc j’ai enchaîné sur un DEUG AES à l’uB que j’ai passé, mais parce que j’avais besoin d’une année pour trouver ce que je voulais faire. Après, j’ai fait l’IUP Denis-Diderot en management et gestion d’entreprise où j’ai eu une révélation sur la partie RH-Formation. La formation, le développement de compétences, est ce qui contribue à faire évoluer ce que l’on est, à ne pas rester sur des positions statiques. Chaque nouveau savoir nous transforme. Un ancien m’a dit : “Massar, le savoir qu’on te donne, on ne peut pas te le reprendre”. Cette phrase m’a vraiment marqué. »
Travail, Mode D’emploi
Maîtrise en poche, Massar N’Diaye imagine qu’il va facilement trouver du travail... et se prend un mur. « C’est là qu’on entre dans une petite spirale un peu compliquée et qu’il est primordial d’avoir acquis des ressorts intellectuels et psychologiques pour répondre à un échec… qui peut être la prise de conscience du fait qu’on ne prend pas la bonne voie. » Il travaille donc à l’usine, en 2/8, le temps de réaliser que ce n’est pas pour lui et de se forger des réflexions sur le travail : « Je me suis dit : respect. Respect à ces personnes coincées dans des jobs contraints parce que le bagage académique n’a pas pu être préparé ou ce n’était pas une vocation pour elles. » En région parisienne, il décroche un DESS et travaille dans un organisme de formation pendant deux ans et demi, où il enseigne des mathématiques pour des remises à niveau dans le cadre du concours d’aide-soignant à l’APHP.
De retour à Dijon en 2008, Massar N’Diaye travaille pour un Opca (organisme de collecte de la taxe professionnelle) dans le secteur des industries graphiques. « Quand je reviens, je me demande ce que je peux rendre au quartier. Il m’a construit, mes voisins, mes proches, m’ont construit. J’ai un début de réussite… Que puis-je faire ? » La réponse est l’association DFO Média 21 « dont l’objectif est de faire une promotion positive de la Fontaine d’Ouche. On fait un journal de quartier. On cherche à faire un partenariat avec la ville de Dijon et la ville de Louga dont je suis originaire, au Sénégal. On cherche à construire des ponts. »
Engagement Citoyen
En 2002, l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour secoue la France. Pour le jeune homme, c’est le début de l’engagement. « Je me demande si voter suffit. Je prends ma carte au PS. C’est ma première rencontre avec un organe politique. C’est assez enrichissant, mais je me suis vite retrouvé bridé. » Le Je t’aime moi non plus avec le PS a duré : en 2014, Massar N’Diaye est sur la liste de François Rebsamen pour les municipales mais c’est sans étiquette qu’il se présente trois ans plus tard aux élections législatives : « On organise notre propre campagne : une expérience folle, mais super intéressante. Je ne suis pas élu, mais j’ai acquis une autre vision de l’action politique : on doit faire différemment. La politique doit être plus participative, plus citoyenne. La position de sachant fait souvent mal à la démocratie. Elle minimise l’expérience et la vie de l’autre. Elle ne mesure pas l’émotion, la déstructuration que vivent certains. »
« Ce que je suis est intimement lié à cette question du métissage,
de qui l’on est, de l’identité, des valeurs que l’on porte. »
Suppléant d’André Gervais sur le canton de Dijon VI, Massar N’Diaye devient conseiller départemental en juillet 2017 lorsque le « monsieur Tram » de Dijon décède brutalement ; il sera réélu en 2021. En 2020, Massar N’Diaye est sur la liste de François Rebsamen aux municipales, élu comme conseiller à la lecture publique (l’action des bibliothèques publiques de la ville de Dijon). L’aboutissement logique d’un parcours, estime-t-il : « La question de la culture forme un vrai bloc, le socle du bien-vivre ensemble. Partager la culture, c’est partager quelque chose qui nous unit. Ce n’est pas la couleur de la peau ou le genre qui fait une division, finalement ; ce qui peut nous diviser, c’est de ne pas partager ce socle commun. La culture permet ce socle. J’atteins à ce moment une forme de maturité politique. »
En novembre 2024, il devient adjoint de Nathalie Koenders, la maire de Dijon, à l’ESS, l’insertion et l’emploi. Et président de Créativ’ suite à la démission d’Océane Godard, élue députée, le cluster emploi-compétence du bassin dijonnais. « On repose sur trois piliers, explique Massar N’Diaye : l’individu, le territoire et l’entreprise. La vision que j’ai de Créativ’ et que j’entends impulser, c’est qu’on est là pour accompagner des individus, répondre aux besoins des entreprises exprimés - ou pas encore exprimés, dans une lecture prospective - et on construit la richesse d’un territoire. »
« L’insertion N’est Pas Du Social »
Une synthèse de ce que la vie a enseigné à celui qui, aujourd’hui, accompagne des entreprises de l’industrie graphique sur la compétence, le développement ou l’innovation technologique. « L’insertion, ce n’est pas du social, développe Massar N’Diaye. C’est une réponse aux besoins économiques. L’objectif d’une politique d’insertion, c’est répondre à des besoins de territoire et d’entreprises, et cela nécessite des compétences, un savoir-faire que possèdent les salariés de Créativ’. On offre ici une émancipation sociale et économique. Une personne qui retrouve un emploi retrouve les moyens d’exister avec les autres. Encore faut-il bien mesurer ce que les personnes veulent. Car ceux qui ne sont que sur du job alimentaire n’ont pas une vie sociale épanouissante. Un travail qui ne permet que de satisfaire des besoins élémentaires peut engendrer du repli. »
Et du rejet de la part de ceux qui remettent en cause l’existence même de ces politiques d’inclusion. À ceux-là, Massar N’Diaye apporte un démenti en forme de mantra politique. « Je n’accepte pas le mot d’assistanat. Une personne qui touche le RSA ne prend pas de vacances et ne cotise pas pour sa retraite, n’est pas protégée au niveau médical… C’est une rhétorique simpliste. Le sens de l’action politique, c’est d’arrêter de faire croire aux gens que plus c’est simple, et plus ça marche. » Comment convaincre ceux dépourvus des armes intellectuelles de la nuance ou contrer ceux qui instrumentalisent les réponses simplistes ? « Celui qui ne veut pas voir ne sera pas convaincu, admet Massar N’Diaye. Mais le temps est une valeur qui ne trahit pas. Je crois à la valeur du temps. Cette nouvelle génération qui pratique l’agriculture urbaine, qui profite des énergies renouvelables a un vécu qu’elle va partager. Il faut continuer à avancer dans les projets. La pire des choses, ce serait d’arrêter de faire. »