Du haut de ses 75 printemps, ne lui parlez surtout pas de retraite. S’il n’a d’égale que des artistes comme César, Pompon ou encore Brancusi, l’artiste dijonnais Michel Couqueberg a fait de la sculpture animalière sa spécialité, jusqu’à entrer au Panthéon des sculpteurs animaliers en intégrant en 2005 le Dictionnaire illustré des sculpteurs animaliers et fondeurs de l’antiquité à nos jours du célèbre critique d’art Jean-Charles Hachet, dont il recevra d’ailleurs quelques années plus tard le Trophée dans le Grand prix européen d’art contemporain. Le travail d’une vie qui l’occupe encore plus de 50 heures par semaines, dans son atelier dont il nous a ouvert les portes le temps d’une rencontre en immersion.
Des bancs de l’école aux ateliers
« Je suis né après-guerre, mes parents étaient ouvriers et enfant déjà, je dessinais beaucoup et surtout n’importe quoi », confie-t-il, le sourire aux lèvres. S’il devait y avoir une ligne directrice pour décrire son art, cette dernière pourrait partir de la nature : « Toute ma création vient de la nature. Je m’en suis toujours inspiré et au fur et à mesure des années, j’ai recherché les formes d’après les formes de la nature. » Il est presque inutile aujourd’hui de chercher la plaque explicative d’une oeuvre pour reconnaître “un” Couqueberg. Des formes élancées, pour la plupart des courbes suggestives qui laissent à imaginer l’animal que l’artiste a souhaité représenter. Le figuratif est bien présent, l’oeuvre est visible, mais pour Michel Couqueberg, « le plus intéressant reste le côté invisible de la pièce... Ce que les gens cherchent à voir et à deviner. Un simple “c’est beau” ne suffit pas ! ».
« Lorsque je travaille, je suis dans un état d’esprit animalier brancusien »
S’il a toujours dessiné, pour le plaisir et pour travailler son imaginaire, Michel Couqueberg a épousé une autre carrière professionnelle avant de vivre de sa passion : « Après mes études, j’ai travaillé 15 ans dans l’enseignement technique et plus particulièrement dans la productique, jusqu’à l’usinage numérique. Mais le numérique ne m’intéressait pas. Pour moi, la main accompagne l’esprit, comme le disait Vincenot. Ce n’est pas l’ordinateur qui accompagne l’esprit. Alors, une fois certifié, j’ai décidé de tout lâcher pour me lancer dans la sculpture et vivre de mon art. »
De la taille directe sur bois, il passera rapidement au travail du plâtre et du bronze. Un temps installé à Dijon, il vendra finalement sa maison et ses deux ateliers du boulevard Thiers et de la rue du vieux collège en dix jours pour rejoindre la commune d’Orgeux. « J’ai repris un terrain vague de 4.000 mètres carrés sur lequel j’ai reconstruit maison et atelier. Mes enfants me disaient : “Papa, tu vas à la dérive”, et je leur répondais que quand on ne croit pas un projet, il ne faut pas y toucher et le laisser aux autres », se souvient-il, de confier sa rapide réussite : « J’ai été très vite approché par Miguet Frères, qui m’ont fait intégrer le département contemporain du Louvre des antiquaires dans le premier arrondissement de Paris. C’est d’ailleurs eux qui m’ont payé la moitié de l’atelier grâce aux ventes de mes oeuvres ». Un déménagement rapide pour gagner en place et ainsi répondre aux appels de monuments.
Un temple artistique
Aujourd’hui, Michel Couqueberg se plait à créer quotidiennement dans son atelier de plus de 550 mètres carrés entièrement sécurisé. « Pour moi, un artiste doit prendre plaisir à travailler... C’est ce que je fais tous les jours ! » En une vingtaine d’années, l’artiste a monté un réel empire qu’il aime à surnommer son temps artistique. Visiter son atelier revient finalement à découvrir presque tous les métiers techniques et artisanaux de l’art. « J’ai tendance à comparer l’art à un fruit... Quand il est mûr on le cueille, sinon on attend, développe-t-il. Je ne peux pas faire comme 95% des artistes d’aujourd’hui, à savoir sous-traiter le travail ! Je veux qu’une pièce soit pénétrée, elle doit avoir vécu avec l’artiste et être mûre. Si elle ne l’est pas, on ne la sort pas ».
Du dessin à l’oeuvre qu’emportera le client, Michel Couqueberg met un point d’honneur à tout faire lui-même. Dès l’entrée, son atelier où il travaille le plâtre donne la mesure. Des dessins caracolent avec des épreuves en petit format qu’il agrandira par la suite après avoir réalisé des épures dans les trois dimensions. Plus loin vient la conception des moules qui permettront ensuite au fondeur de couler la pièce en bronze, seule étape qu’il sous-traite. Une fois le bronze d’art récupéré, il passe à l’atelier de soudure sous atmosphère avant de rejoindre l’atelier de ciselage et de façonnage.
« L’art, c’est l’épreuve du temps »
« Une fois l’oeuvre assemblée, je lui fais passer une endoscopie, s’amuse-t-il. Je passe une caméra à l’intérieur de la pièce pour vérifier qu’il n’y ait pas d’impureté. Sans ça, on ne peut voir les défauts et les oeuvres pourraient être amenées à mal vieillir, comme on peut parfois le constater sur certaines pièces de musée ». Une fois l’oeuvre prête, elle passera à l’ultime étape qu’est le traitement chimique dans une partie confidentielle de l’atelier qui regorge d’étagères protégées par des draps et qui hébergent une multitude de flacons numérotés, tel l’atelier d’un parfumeur. « Pendant 30 ans, j’ai fait de l’oxydation. Aujourd’hui, je travaille à des traitements de surface pour faire de l’argenture dégradée. »
Enfin, moins fréquent mais tout aussi technique, Michel Couqueberg travaille l’actuglas et le plexiglas en taille directe avant glaçage pour proposer des pièces originales et uniques tout en transparence à l’indice du cristal, avec la caractéristique de ne pas vieillir dans le temps.
Moderne avant l’heure
Depuis maintenant 42 ans, Michel Couqueberg a réalisé plus de 1.600 oeuvres en collection bronze, dont un certain nombre de pièces uniques et près de 200 oeuvres originales à 12 exemplaires. « Il faut bien comprendre que lorsqu’on réalise une pièce unique ou une oeuvre originale, dès que la dernière pièce a été fondue, on a l’obligation de détruire le moule ! », dévoile l’artiste qui compte aujourd’hui sept pièces en musée et 22 monuments pouvant atteindre les 3,80 mètres de haut exposés dans l’Hexagone. Souvent imité mais jamais égalé, Michel Couqueberg a fait de la sculpture animalière sa spécialité, parlant même de son “bestiaire imaginaire”.
« Lorsque je travaille, je suis dans un état d’esprit animalier brancusien », confie-t-il, en référence à l’artiste Brancusie qu’il admire. « Déplacer une ligne sur une de mes oeuvres, c’est déplacer une note sur une partition de musique, on n’a plus la même mélodie. Toutes ces lignes sont dans le nombre d’or. Le rapport largeur/hauteur doit faire 1,618. », explique l’artiste contemporain qui travaille en écoutant du classique, de préférence du Bach. Si Michel Couqueberg peut avoir semblé un temps moderne avant l’heure, il s’en défend en expliquant qu’un artiste se définit par sa création et sa technique, mais aussi par son époque.