Cela fera bientôt un an que Nabile Kilani savoure pleinement sa vie de famille entre deux croisières. La pandémie de Covid-19 aura au moins eu cet avantage de permettre à ce capitaine célibataire de 45 ans de trouver l’âme sœur. « Je supervisais des travaux en Belgique sur un bateau de 30 mètres et j’envisageais, une fois ma mission terminée, de partir en Asie centrale, confie-t-il. C’est en cherchant des contacts sur place que j’ai commencé à discuter avec Sati. »
Il la rencontrera pour la première fois quelques mois plus tard en Turquie, avant de l’épouser l’année suivante et d’adopter ses deux enfants, Dénis et Daniela, qu’il ira par la suite chercher au Kazakhstan en octobre avant de s’installer à Seurre. S’il aspire aujourd’hui à une vie plus calme - « toujours dans l’univers du fluvial, mais à terre ! » - pour profiter pleinement de ses proches, son passé n’est jamais très loin de le rattraper. « Je souhaiterais travailler dans la maintenance ou pourquoi pas dans le montage de projet. Même si, à plus long terme, j’aimerais acheter un bateau et revenir à la navigation... Quoi qu’il arrive, on reste mordu ! », dévoile-t-il, non sans une certaine pointe d’amusement.
Matelot devenu capitaine
Originaire de Montélimar, c’est en véritable passionné de navigation que notre homme est venu jeter l’ancre à Saint-Jean-de-Losne au début des années 2000. « Mon cousin travaille depuis très longtemps sur des péniches et il m’a proposé de le rejoindre dans son entreprise. Il m’a expliqué le travail et ça m’a tout de suite plu. » Matelot sur un 38 mètres, il partagera sa vie, pendant deux ans, avec cinq autres équipiers dont deux hôtesses, un guide, un capitaine et un chef, au service de clients aisés - ce type de croisière où le client loue le bateau avec le personnel de bord coûte entre 40.000 euros et 85.000 euros.
« Une fois à bord, on doit savoir tout faire, le service, la plonge, mais aussi la mécanique, l’entretien extérieur et de la plomberie. C’est un travail passionnant mais très prenant puisqu’on travaille au service des clients [jusqu’à huit à bord, Ndlr] pendant six jours, le septième étant destiné à repréparer le bateau pour les prochains clients », raconte-t-il.
« À plus long terme, j’aimerais acheter un bateau et revenir... Quoi qu’il arrive, on reste mordu ! »
À l’issue de cette expérience, Nabile Kilani choisi de passer son permis bateau pour devenir capitaine. « On m’a alors proposé d’aller travailler sur de plus gros bateaux [pouvant atteindre jusqu’à 135 mètres, Ndlr], où le rythme est différent puisque nous sommes deux capitaines à nous relayer jour et nuit à la barre pendant 15 jours, avant d’avoir 15 jours de repos. » Un rythme de vie qui lui plait alors - « Ce sont des croisières où on peut faire jusqu’à 200 kilomètres en une semaine » - et qui lui permet d’être plus proche de la nature, tout en rencontrant beaucoup de monde. « On vit beaucoup au rythme des saisons, on ne travaille pas l’hiver pour des questions de sécurité. »
C’est avant tout la passion qui guide la vie de ce Bourguignon d’adoption. « J’ai toujours fait en sorte de faire ce que j’aimais... ce qui n’est pas facile parce que cela apporte aussi son lot de remise en question ! Apprendre quelque chose de nouveau nécessite parfois de repartir de zéro... mais c’est d’autant plus motivant, reconnaît-il. Et puis ce travail me permet de me promener, de naviguer et d’être plus proche des gens. Par chance, je suis toujours tombé sur des personnes très humaines, très gentilles et très professionnelles. » Ses choix le mèneront jusqu’au Chili où il vivra cinq ans avant de reprendre son poste sur la Saône. « J’ai même failli travailler sur des chalutiers en mer. J’aurais beaucoup aimé le faire, mais je n’avais pas les bons visas... », se souvient-il.
Baroudeur avant tout
Ses envies de voyage ne datent pas d’hier... Autonome dès son plus jeune âge, le bac en poche, Nabile Kilani prend la route direction l’Afrique où il posera ses bagages pendant quelques mois au Burkina Faso. De retour en France, il se lance dans des études de comptabilité et de gestion. Un BTS assistant de gestion de PME après, il met le cap sur le Royaume-Uni. « J’ai travaillé dans la restauration pendant un an en Angleterre pour perfectionner mon anglais, ce qui m’est bien utile aujourd’hui puisque 95 % de notre clientèle est anglophone. Et quelqu’un m’a proposé de partir m’installer aux États-Unis. »
Depuis la capitale Washington DC où il dirige une équipe de 20 personnes en salle dans un grand restaurant de 150 couverts, il vivra en direct les attentats du 11 septembre 2001 : « Je cohabitais avec un ami de Montélimar. C’était notre jour de repos et nous devions rejoindre un autre Français qui habitait juste à côté du Pentagone. Ce jour-là, on s’est levé tard et c’est lorsqu’on a commencé à rouler dans Washington qu’on a compris qu’il se passait quelque chose. Il n’y avait personne dans les rues et la ville était fermée. Même le restaurant qui était habituellement ouvert sept jours sur sept était fermé. Tous nos collègues s’étaient regroupés dans une annexe et étaient figés devant un écran géant ».