Un nom, ce n’est jamais neutre. Il est porteur d’identité, c’est « un fragment de [notre] âme », écrivait Freud dans son essai Totem et Tabou. De son effacement, les despotes en font un outil de déshumanisation. C’est ainsi que dans les camps nazis, les individus se voyaient destitués de leur patronyme au profit de matricules. Selon la manière dont on se l’approprie, le nom peut être catalyseur de notre construction, de nos choix de vie autant personnels que professionnels, de par les valeurs et l’histoire que l’on y associe.
C’est le cas de Nicolas Guillaume à la tête de l’opérateur télécom alternatif bisontin Netalis qui, en moins de dix ans, aura non seulement développé un réseau de près de 750 km de fibres optiques dans plusieurs villes de BFC, Alsace, et plus récemment, en PACA (suite à une fusion en janvier 2022 avec l’opérateur ASC basé à Sophia-Antipolis et la création de la holding Nasca Group à Paris), constitué tout un ensemble de services numériques dédiés aux entreprises au travers d’une offre Cloud (hébergement en data center, sécurité informatique des réseaux, téléphonie sur IP...), mais aussi adressé plus de 500 clients actifs. Il aura également mise en place ses propres plateformes techniques (interconnexions data et voix) et concrétisé la création de la première autoroute numérique indépendante de l’opérateur historique reliant à terme Strasbourg à Marseille (5e hub mondial du trafic internet avec 4 Mds d’internautes), ainsi que la Suisse jusqu’à Saint-Louis, en direction de Bâle.
Sur son état civil Nicolas a pour nom de naissance complet Guillaume-Lamarre. Guillaume de par son père et Lamarre de par sa mère : deux identités réunies par l’histoire avec un grand H, celle de la Seconde Guerre mondiale. « Mon grand-père paternel a participé au débarquement de Provence pour défendre l’idéal de liberté français, ma grand-mère maternelle, normande, a vécu sous les bombes et le frère de mon grand-père maternel, André Lamarre, était résistant FTP, fusillé au mont Valérien le 5 avril 1944 à l’âge de 18 ans. J’ai baigné toute mon enfance dans cet esprit de résistance, de combat, du “ne rien lâcher” mais aussi dans la culture du débat, de la défense des idées, du refus du repli sur soi, de la liberté de blasphème, de celle d’entreprendre, du droit à l’essai, aux échecs forcément formateurs... ». Nicolas Guillaume faisait ainsi partie, le 6 juin, des 5.000 invités aux cérémonies internationales à Omaha Beach pour les 80 ans du débarquement en Normandie. Sa famille a remis, fin mai, des documents historiques dont l’original de la dernière lettre d’André Lamarre à la famille au musée de la Résistance et de la Déportation de la Citadelle de Besançon.
Les codes du self made man
Alors qu’il a trois ans, les parents de Nicolas Guillaume se séparent. « J’ai été élevé, jusqu’à mes 12 ans environ, principalement par mes grands-parents maternels arrivés à Besançon dans les années 70 et qui habitaient dans le même quartier que ma mère. Ainsi, mon-grand père Jean, qui m’a toujours beaucoup soutenu, est devenu mon papa de substitution ». Très complice, le binôme profite de la moindre occasion pour aller voir les trains. « Très vite, je suis devenu un authentique ferroviphile. Je suis monté dans le premier TGV Atlantique assemblé à Belfort alors en essai dans la région. J’avais six, sept ans, et quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais Pdg d’Alstom. J’avais déjà cette envie de faire de grandes choses. Et de mes yeux d’enfant, construire et faire rouler des trains, c’était quelque chose de grand. »
Ses rêve XXL, bien que n’étant pas du “sérial” des entrepreneurs, ni la mère de Nicolas (cadre dans la banque) ni ses grands-parents (ouvriers) ne les freinent, bien au contraire, ils les encouragent en le poussant à oser. En cinquième, lors d’un voyage scolaire à la Cité des Science à Paris, il découvre l’internet et c’est l’effet « waouh » mêlant révélation, admiration et passion immédiate, voire dévorante. Il crée ses premières pages web sur les trains miniatures ou sur l’histoire de sa famille pendant la guerre, essaye d’appréhender l’écosystème numérique dans son ensemble, les hébergeurs, les serveurs, le code... et même la composante audiovisuelle et cinéma depuis une rencontre, en 1998, avec l’acteur réalisateur Olivier Marchal sur une plage normande, en plein tournage de la série sur la police ferroviaire Quai n°1.
« J’ai commencé ma vie professionnelle par une démission ! »
L’école passe progressivement au second rang « Je me disais : le français, les maths, les langues, la physique, la chimie, et cetera, c’est un très bon socle, mais ce que je faisais à l’extérieur me motivait plus, le côté connexion réseau, partage c’était quelque chose qui me plaisait plus que tout. Je créais déjà des sites internet pour des entreprises et des associations. À cette époque, j’arrive sur mes 16, 17 ans, je suis au lycée Jules Haag, où ma mère m’imagine devenir ingénieur. Mais moi, je vois bien que je n’ai plus l’appétence pour la chose scolaire, que je me reconnais plus dans le côté autodidacte, cette idée d’apprendre à progresser par soi-même me plaît. Je m’interroge alors sur comment gagner de d’argent ? Comment je facture ? Parce que je me rends compte que ce que je fais, c’est monnayable. Il se trouve qu’en face du lycée, il y a les bureaux de la CCI. Je traverse donc la rue, non pas pour trouver un job mais pour savoir comment créer mon entreprise », se souvient Nicolas Guillaume.
La réponse tombe : « Pas le choix, il faut attendre mes 18 ans ! Dans ma tête, c’est une éternité. Je prends toutefois mon mal en patience et le jour de mes 18 ans, je remets une lettre de démission à mon lycée. J’ai ainsi commencé ma vie professionnelle en démissionnant ! ». Malgré la période de forte tension familiale que sa décision génère, le jeune homme ne lâche rien et, en 2003, s’installe en freelance comme webmaster/développeur puis consultant/chef de projet indépendant (spécialisation aménagement et infrastructures numériques).
Résistance en héritage
Pendant dix ans il va se construire ainsi un profil atypique et très polyvalent mêlant capacités de codage, marketing internet, connaissance des infrastructures numériques, chroniqueur dans des médias spécialisés en nouvelles technologies... au point d’être remarqué par la start-up Cedexis qui cherche une sorte de couteau suisse pour renforcer ses équipes. Il est nommé directeur communication et affaires publiques en 2011. Et c’est, un an plus tard, lors d’un voyage pour l’entreprise aux États-Unis au cœur de la Silicon Valley que l’envie de créer sa propre boîte dans les télécom devient criante « J’ai eu un déclic, je me suis dit : j’ai ça en moi, je suis entrepreneur, il faut y aller ! ».
À l’été 2013, il quitte Cedexis et le 19 juin 2015 Netalis voit officiellement le jour. « Avec Netalis, nous avons comblé un manque, nous avons répondu à une attente des entreprises pour une offre télécom et réseau alliant tarif compétitif, innovation technologique et service premium de proximité, ce que ne sait pas faire Orange. Nous avons été parmi les premiers à proposer le 1 gigabit à 300 euros/mois au lieu de 1.000 chez les grands groupes. Puis on est devenu opérateur de services et d’infrastructures. J’ai commencé, nous étions 2,5 et aujourd’hui j’ai une équipe de près de 30 collaborateurs. En 2025, Netalis fêtera ses dix ans et quand je regarde en arrière je suis fier : à 40 ans, je me suis forgé mon propre métier seul sans même le BAC. Ce fut une bataille à tous les niveaux, ce qui n’est pas étonnant quand vous avez comme concurrent cible Orange, un géant qui affiche 40 Mds de chiffre d’affaires en 2024, alors que moi, je fais moins de 10 M€... Grâce à un esprit de résistance, de résilience et de combat face aux aléas, mais aussi de coopération, d’ouverture, de réseau, fils rouges de mon héritage familial, j’ai construit une réussite avec une équipe qui croit en moi, en mon projet et en laquelle en retour je crois. Je suis dans mon rôle de dirigeant, quand je prends de la hauteur, que je définis la stratégie, que j’anticipe, que je cherche à voir plus loin, mais au quotidien je vis avec mon équipe, à qui je laisse beaucoup d’autonomie, que je pousse à prendre des risques, à s’autoriser à essayer. Je suis entouré de personnes qui dans certains domaines sont meilleures que moi, c’est comme ça que l’on réussit et c’est aussi pour cela que je ne suis pas le plus gros salaire de mon entreprise ».