Invités / Entretiens

Ophélie Goussard

Le bon grain est livré

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Ophélie Goussard
Ophélie Goussard vient de déménager son torrectateur à Montot en Haute-Saône. (Crédit JDP.)

« Il y a une quinzaine d’années, je ne connaissais rien au café, je n’étais même pas une consommatrice », confie Ophélie Goussard, qui, en 2020, ouvrait la première torréfaction artisanale de café de spécialité de Besançon. Telle une réplique grandeur nature d’un tableau d’Édouard Hopper, posée à l’angle des rues des oiseaux et des Tamaris, c’est dans un improbable édifice, sorte de “diner” à l’américaine échoué au coeur de Besançon, que la jeune femme officiait alors. « Ce lieu, que j’ai découvert en passant devant par hasard, je l’ai acheté. J’ai immédiatement senti qu’il se passait quelque chose avec ce bâtiment : ses grands volumes, l’armature métallique très “indus” de son plafond, sa cour à côté, sa grande terrasse... tout était réuni ici pour donner vie à un projet atypique, fédérateur, à même de redynamiser un quartier, dont le dernier bar PMU venait de fermer ». Et c’est d’ailleurs cette “apparition” venue de nulle part qui lui a, en partie, inspiré le nom de son futur commerce : le Somewhere coffee...

Café Salvateur

Mais avant de se laisser gagner par les effluves d’un expresso fraîchement torréfié, revenons un peu en arrière dans le parcours de cette jeune entrepreneuse que rien ne prédisposait à porter haut les couleurs du café de spécialité. Une maladie auto-immune, dont les lourds traitements s’avèrent incompatibles avec l’école, qu’elle quitte à 16 ans sans diplôme, puis avec un travail classique, l’oblige à se construire un chemin de traverse susceptible de s’accommoder de ses problèmes de santé. « J’ai tout de même passé mon bac en candidat libre et je l’ai eu ! », lance-t-elle avec défi. C’est d’abord dans le garage auto de son père, à Gray, qu’elle fait ses premières armes. Toutefois, la mécanique n’étant pas sa tasse de thé, elle imagine un projet de salles de réception, mi-château pour mariages, mi-salle des fêtes. Un rêve bien vite douché : avec sa maladie, aucune banque ne lui signe d’emprunt. Un ami constructeur et promoteur immobilier, sur le point de prendre sa retraite, lui propose de la former au métier en vue de lui transmettre son entreprise. Elle suivra ainsi la voie du béton pendant plusieurs années, mais l’envie de créer quelque chose par elle-même ne la lâche pas... Et c’est la rencontre avec un banquier moins timoré que ses confrères, qui lui conseille d’ouvrir un commerce alimentaire - un projet plus modeste pour lequel il est en mesure de l’aider financièrement - qui l’amène à créer un coffee shop. « J’ai toujours aimé voyager, découvrir et m’imprégner de la gastronomie des pays, exorciser le très moche de ma maladie par du beau... C’est comme cela que j’ai dégusté mon premier slow coffee à New York. Ce fut une révélation. Le café est ainsi devenu le fil conducteur de tous mes voyages suivants : rencontres avec les pionniers du café de spécialité, visite de torréfactions et de coffee shops dans le monde entier... ». Si cette première aventure s’achève par la revente de l’enseigne en 2018, elle propulse définitivement Ophélie Goussard dans le monde du café, avec une conviction : celle que les règles de ce marché doivent changer. « Depuis une quinzaine d’années, le café ne se négocie plus exclusivement en bourse à prix cassé, comme avec le café industriel qui représente 95 % de la consommation mondiale, mais également directement du producteur à l’acheteur, au juste prix. J’ai eu la chance de rencontrer Christophe Servell, le premier à avoir cassé les codes de cet univers, en créant Terre de café, la première torréfaction de café de spécialité de France. Par son engagement, il a permis l’émergence d’une nouvelle filière caféière, respectueuse des producteurs, de la nature et des consommateurs... ». Ce précurseur la prend sous son aile et la forme. Comme lui, la jeune femme ne torréfiera dans les règles de l’art que du café de spécialité, traçable de la récolte à la tasse. Elle fait alors l’acquisition d’une Rolls-Royce des machines à torréfier : tout en chrome, elle vient directement des États-Unis.

Et c’est à ce moment qu’elle tombe en arrêt, rue des Tamaris, dans ce qui deviendra sa torréfaction artisanale et locale. « Notre gamme varie selon les saisons de récolte et l’abondance de la production. Nous respectons la nature et l’humain en rétribuant justement les producteurs pour leur travail, ce qui leur permet de cueillir les cerises à maturité, dans des zones souvent pénibles d’accès (sachant que l’Arabica pousse à partir de 1.200 mètres d’altitude). Pour magnifier ce fruit qui a déjà fait tant de trajet, nous cuisons lentement jusqu’à 200°C, en ne surcuisant pas le grain pour développer tous ses arômes, là où les industriels poussent la température proche des 1.000°C en à peine une minute, le cramant littéralement ! Tous nos cafés atteignent au moins 80/100 sur l’échelle de notation de la SCA (Speciality Coffee Association of Europe) ». Avec cette adresse bisontine, Ophélie Goussard, va aller au-delà de la torréfaction et de la vente de café aux professionnels comme aux particuliers, donnant vie à une sorte de tiers-lieu, créateur de lien social au coeur du quartier des Chaprais. Elle acquiert une licence 4 pour élargir son offre et ainsi propose des brunchs, des barbecues, imagine des collabs avec, par exemple, une bière au café, créée avec Independent House, une brasserie artisanale de Chevigny-Saint-Sauveur, propose des animations sur le thème du café, des ateliers sur la filtration, tout un panel d’évènements, soirées, dégustations, séminaires professionnels.... « L’idée, c’était de sortir le café de spécialité de sa bulle élitiste, de le rendre accessible à tous, branché, familial ». Le concept prend immédiatement.

« Mon objectif est de sortir le café de spécialité de sa bulle élitiste, de partager autour de ma passion »

Très vite, la jeune entrepreneuse place ses cafés dans les plus belles adresses gastronomiques bisontines, se constitue une riche clientèle professionnelle de cavistes, épiceries fines, bars... jusqu’à Pontarlier. Les animations au Somewhere ne désemplissent pas. Si bien qu’après cinq ans de ce rythme effréné, celle qui vient de devenir maman aspire à « moins de bruits, moins de monde ». C’est alors qu’un habitant du village haut-saônois de ses grands-parents propose de lui vendre sa ferme, une immense bâtisse à restaurer avec un verger attenant. « À 18 ans, j’avais déjà acheté sur cette commune de Montot une petite maison que j’avais retapée en tiny house. Je me suis dit qu’il y avait là moyen de faire quelque chose de bien et de différent de ce que j’avais fait jusqu’ici en ville ».

Ne Plus Faire Seule

Le pari de s’installer dans un village d’une centaine d’habitants est plutôt osé, mais Ophélie Goussard, une fois encore, ne manque pas d’idées. « Montot est idéalement situé à 40 minutes de Besançon, où j’ai déjà une clientèle fidèle, et à 30 minutes de Dijon où tout reste à faire. De plus, le village est un point de passage de la via Francigena qui conduit les pélerins jusqu’à Rome. Plus de 50.000 personnes le traversent en été sans que rien n’ait été pensé en termes de restauration et d’hébergement. Avec mon verger, les plusieurs centaines de mètres carrés de ma ferme et ma tiny house : le champ des possibles est vaste, d’autant qu’en Haute-Saône, on a un peu tout en local et que des partenariats pourraient être trouvés avec des producteurs de vins, de fromages, de bières, de charcuterie... », sourit celle qui, sur Dijon, a déjà ses entrées à la Cité internationale de la gastronomie et du vin pour dispenser des formations au café à l’école Ferrandi. « Mon installation à Montot a coïncidé avec la flambée brutale des prix du café, suite aux catastrophes métérologiques survenues au Brésil et au Vietnam. La tonne de café vert est ainsi passée de 4.000 €, il y a quelques années, à 15.000 €. À ces prix-là, mon activité n’est plus rentable. Je suis alors dit qu’il était temps de jouer collectif. J’ai rencontré un torréfacteur à Dijon qui avait acheté la même machine que moi et qui s’est installé en mode coffee shop. Il passe deux tonnes de café par an, quand moi, j’en passe trois tonnes par mois ! ». La cotorréfaction alors apparaît comme une évidence. Un troisième torréfacteur bourguignon rejoint le duo, puis une torréfactrice de cacao de Pontailler-sur-Saône. « L’idée, c’est de partager ma machine contre une commission sur les ventes pour moi, de mutualiser nos achats de cafés, de partager nos bonnes pratiques, nos contacts et de faire vivre ensemble le site de Montot, avec quelqu’un ici pour tenir la boutique, proposer des dégustations... »