Il en convient : sa nomination, en avril 2022, sur les bords de l’Yonne en a désarçonné plus d’un. À commencer par les responsables politiques locaux habitués à un profil consensuel, certains diront plus académique, pour représenter l’État et conduire les politiques publiques sur le territoire.
Représentant à lui seul cette nouvelle génération souhaitée par le Président de la République pour revitaliser le corps préfectoral, Pascal Jan détonne, certes, mais - force est de constater - qu’un an après son arrivée : a su convertir les plus sceptiques, qui découvraient, médusés, sa brillante carrière d’universitaire dans les pages du journal Le Monde.
« Lors de ma prise de fonction, j’ai annoncé que j’organiserai un grand colloque sur la préservation de la ressource en eau. Certains saluaient l’initiative sans vraiment être convaincus, je le sais. Les faits m’ont donné raison et cela a été un vrai succès avec la participation des agriculteurs qui ont montré toute leur implication. »
Ainsi se résume la méthode de ce docteur en droit public : un discours clair, une présence infatigable sur le terrain - il est déjà allé à la rencontre des habitants de 56 communes - et des actes.
Je suis préfet de l’Yonne, pas d’Auxerre ! Mon rôle est de tracer une trajectoire pour le département sur les 20 prochaines années.
« J’ai besoin de comprendre ce qui anime les élus et d’entendre ce que disent les citoyens. » Mise en place du schéma stratégique des énergies renouvelables, création du premier plan départemental sur la cybersécurité, organisation de réunions intercommunales, installation d’un agenda rural, Pascal Jan distille sa culture de projets et d’expérimentation à l’envi, dans le seul but de redonner toute sa place aux services de l’État et de « faire avancer les dossiers et les projets ».
Quitte parfois à devoir bouger les lignes. Présentée comme la solution à tous les maux, la mutualisation entre le centre 15 et le 18 attendue par les élus auxerrois n’a, en effet, pas échappé à la règle. Implacable, tel un syllogisme judiciaire. « Je suis allé à Clermont-Ferrand, j’irai bientôt à Annecy, pour comprendre ce dispositif et avoir le retour d’expérience des professionnels de santé. La réponse ne se trouve pas dans les dossiers ! »
Pour savoir ce qui a motivé ce haut fonctionnaire à s’éloigner de l’enseignement supérieur et intégrer la préfectorale, il faut revenir sur ses quatre années passées en Martinique où il a occupé la charge de recteur. Un record de longévité, d’ailleurs.
« J’ai demandé à Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’Éducation nationale, de pouvoir m’investir pleinement dans la politique éducative et de ne pas seulement être cantonné un rôle administratif. J’ai pu ainsi conduire 25 expérimentations dans des domaines aussi divers que la méthode pédagogique, la santé ou la protection de l’environnement. »
Parmi celles-ci, la mise en oeuvre des « cours moyens modulaires » qui ont permis d’endiguer significativement le décrochage scolaire, d’augmenter le niveau d’apprentissage des élèves et d’engager un réinvestissement des parents dans la scolarité de leurs enfants, a créé un précédent. Malgré l’opposition des inspecteurs du premier degré et une certaine réticence du corps professoral, l’expérience imaginée par Pascal Jan obtint des résultats inattendus : les enseignants embarqués dans l’aventure ont tous refusé un retour à l’ancien système.
« Tous ces projets, j’ai pu les mener en bonne intelligence avec le préfet et très naturellement, je me suis investi dans les politiques publiques. C’est dans mon tempérament. En tant que recteur, je suis allé dans un tiers des écoles primaires de mon ressort alors même que c’était la crise sanitaire, souvent à l’improviste, pour rencontrer des personnes qu’on n’entend pas et les écouter. »
La constitution, chevillée « au cœur »
Néanmoins, éclairer le parcours du natif de Tours à la seule lumière de ses services rendus à l’État serait incomplet, et pour tout dire proprement injuste. Enseignant-chercheur en droit constitutionnel et en finances publiques à l’Institut d’études politiques (IEP) de Bordeaux, il a, par ailleurs, dirigé le centre de préparation du concours de l’École nationale d’administration (Ena) pendant près de 10 ans ou encore siégé aux jurys d’admission des administrateurs de l’Assemblée Nationale et du Sénat, contribuant, en parallèle, à nourrir la littérature politique par l’écriture de nombreux articles doctrinaires.
Il s’est découvert une appétence pour la « chose publique » à l’adolescence, à travers les écrits du philosophe et sociologue Raymond Aron, ainsi que dans « la richesse intellectuelle » des auteurs du XVIIIe siècle, tels Montesquieu ou Tocqueville.
Il voue un culte quasi charnel au texte fondateur, la Constitution du 4 octobre 1958 instaurant la Ve République dont il est un des éminents spécialistes et défenseurs. « La Constitution est ce que ses interprètes en font et disent ce qu’elle est », se plaît-il à écrire.
Il est, d’ailleurs, celui qui est à l’origine de la création de la Fête de la Constitution, qui se déroule entre le 28 septembre et le 4 octobre, dont l’objectif est de sensibiliser et d’acculturer les élèves à la vie juridique à travers des rencontres avec des professionnels du droit dans les établissements scolaires.
Mais sa véritable passion, demeurée intacte malgré les années, reste pour le football, lui qui, jadis, a suivi sport-études à Châtellerault (Vienne). « Je serai le préfet de la remontée et de la descente de l’AJ Auxerre », souligne-t-il, un brin amer.
C’est certainement dans les travées du stade de l’Abbé-Deschamps, à l’occasion d’un match des joueurs du « patro », qu’il a fait la connaissance de l’emblématique et incontournable Guy Roux. Le courant semble être passé entre celui qui a consacré une partie de sa vie à « apprendre à réfléchir » à ses étudiants et « l’éleveur de champions » à l’intransigeance légendaire.
« J’ai demandé à Guy Roux de devenir l’ambassadeur des Maisons France Services dans le département. Il a été surpris mais, séduit par l’idée, a accepté. Il est important que les Icaunais puissent s’approprier ces lieux de ressources destinés à les rapprocher de l’Administration », argumente Pascal Jan. Même autour d’un ballon rond, le sens de l’État n’est visiblement jamais bien loin.