« Il fallait choisir entre les études et la compétition à haut niveau », débute Pierre Quinonero, qui se voyait sillonner les plus grands circuits de moto du monde. Entre 1997 et 1999, ce Belfortain rejoint l’équipe de France d’enduro à Fontainebleau. En 2000, à 23 ans, il participe à son premier Paris – Dakar à moto et renouvelle l’expérience en 2001 et 2002. Cette aventure sportive le marquera à double titre. D’abord, parce qu’un grave accident survenu sur sa dernière édition mettra un coup d’arrêt à sa carrière sportive bien qu’il retrouve la ligne du départ de la célèbre course en 2005. Ensuite, parce qu’il ramène avec lui des images de pauvreté et de pollution.
« Pour mon deuxième Dakar, j’avais fondé une association et trouvé des financeurs pour emmener près de 100.000 francs de l’époque en médicaments. Quand on nous parle de pays pauvres et de tiers-monde ici, c’est une chose. C’en est une autre de voir la réalité. J’ai été touché par l’Afrique avec ses déchets partout », se souvient-il alors qu’à 47 ans, ses tempes grisent doucement. Dès 2002, il commence une carrière professionnelle grâce à l’un de ses sponsors, l’enseigne de lavage automobile Elephant Bleu. Les responsables font confiance à son caractère entreprenant et lui confient peu à peu le développement de l’enseigne. Il accomplira ensuite cette mission pour le maraîcher Grand Frais pour lequel il sera à l’origine d’une dizaine de magasins avant de travailler pour un promoteur Lillois. « Pendant près de 12 ans j’ai lancé des programmes immobiliers multi-enseignes dans des zones commerciales. » Sillonnant tout l’Est du pays dans le cadre professionnel, Pierre Quinonero n’a pourtant jamais vraiment quitté son Belfort natal.
De l’artificialisation à la désimperméabilisation
La crise du Covid donne un coup d’arrêt aux projets de développement immobilier des enseignes et signe par-là même le licenciement de Pierre Quinonero. Rencontré dans une salle de sport, son ami Sébastien Molas, ingénieur en voirie réseau divers, est lui aussi débarqué de son entreprise. « Il avait l’idée d’une dalle de revêtement qui fasse de la rétention d’eau et moi je voulais utiliser les déchets plastiques pour en faire quelque chose. » En fin d’année 2020, ils fondent Purple Alternative dont il devient directeur général. « On a commencé un peu en dilettantes puis on a passé trois mois au sein de l’incubateur alsacien Semia et on a développé notre idée. »
« Pendant 20 ans, j’ai artificialisé les sols. Je me repens pour les rendre plus perméables. »
Après deux ans et demi de R&D, le résultat se traduit par des dalles de revêtement perméables capables de faire de la rétention surfacique pour éviter les inondations. Les éléments sont conçus à partir de déchets plastiques multi-composants, peu valorisés jusqu’à présent. « Pendant 20 ans, j’ai artificialisé les sols. Je me repends pour les rendre plus perméables », sourit Pierre Quinonero derrière ses lunettes avant de reprendre : « On recycle les gourdes de vélo aussi bien que les lunettes de toilette. Le plus compliqué ce sont les têtes des bouteilles de vin qui associent aluminium et plastique. » Pourtant après 800 essais autour de mélanges divers et variés, la start-up a trouvé sa recette, intégrant l’ensemble des déchets plastiques à l’exception du PVC.
Voir plus loin que le bout de son nez
Les deux associés collaborent avec le Sytevom, le Syndicat de transfert, d’élimination et de valorisation des déchets Ménagers de Haute-Saône, et installent une benne de tri spécifique pour les plastiques rigides au sein de la déchetterie de Luxeuil-les-Bains. En complément, ils investissent près de 200.000 € dans une première ligne de production chargée de déchiqueter et broyer ces déchets pour les transformer en paillettes. « Avec cette ligne, nous valorisons 200 tonnes de déchets plastiques par an. » Une seconde ligne soutenue par un investissement d’1 M€ verra le jour en septembre prochain avec l’ambition de traiter 1.000 tonnes de déchets annuels tandis que d’autres centres de tri pourraient rejoindre l’aventure. « Nous avons essuyé les plâtres pour améliorer le process et nous passons en phase industrielle. »
Les investissements de Purple Alternative se traduisent aussi par un projet d’usine pour plus de 4 M€. « Nous cherchons un bâtiment plus grand, 2.000 à 2.500 m² contre 600 m² actuellement pour le site d’Héricourt, dans les environs de Belfort mais nous ne trouvons pas », regrette Pierre Quinonero qui souhaite passer d’une vingtaine à une centaine de salariés d’ici à cinq ans. Avec ce nouvel outil, le directeur général espère miniaturiser le process avec l’ambition de produire les dalles au pied des déchets partout dans le monde. « Nous faisons une écologie de bon sens. Nous brûlons ces déchets par facilité alors qu’il y a des choses à faire avec. Il ne faut pas non plus limiter notre regard à la France mais observer le marché mondial du plastique », insiste ce père de famille, soucieux de l’avenir de ses filles. Les dalles de Purple Alternative ont déjà été utilisées sur des parkings, des revêtements de route à vitesse limitée à 30 km/h, en voirie pour la circulation piétonne ou encore pour des accès pompiers... « Notre objectif est de monter à 3.000 tonnes de déchets pour réaliser 150.000 m² de dalles par an. »
Déjà labellisée Solar Impulse en Suisse, l’entreprise à mission vise désormais le label B-Corp. Alors que la France incinère trois millions de tonnes de déchets plastiques, le chef d’entreprise se montre une fois de plus pragmatique : « Nous n’avons pas la meilleure solution mais c’est une solution parmi d’autres pour transformer nos plastiques en matière première. » Pour aller plus loin, la startup mène actuellement une levée de fonds qu’elle devrait clôturer en septembre.