« Le cinéma ? Ce n’était pas gagné ! », reconnaît l’acteur Raphaël Thiéry. Bien sûr qu’il y songeait depuis quelque temps. Bien sûr que cela l’attirait. Mais démarrer une carrière sur le tard, à la cinquantaine, il fallait tout de même oser ! Écoutant finalement ses copains qui ne cessaient de lui répéter : « Avec la tronche que tu as, tu devrais faire du cinéma », il se lance à partir de 2015. Heureuse initiative ! Le succès est immédiat. Non seulement il décroche rapidement un beau second rôle dans Rester Vertical d’Alain Guiraudie, mais encore, le voilà qu’il foule le prestigieux tapis rouge de Cannes ! Pas mal pour un début… Tout s’enchaîne alors très vite, entendez par là une cinquantaine de films.
À peine Thiéry apparaît-il sur un plateau qu’on le repère et le réclame déjà sur un autre projet. Il faut bien l’avouer : le comédien crève littéralement l’écran. Dans le microcosme du septième art, son arrivée fait l’effet d’une bombe ! Depuis Jean Gabin, depuis Michel Simon, depuis les plus grands, on n’avait pas ressenti une telle émotion ! Car, au fond, qui peut mieux que ce « jeune » comédien, camper l’emploi du colosse taiseux flanqué d’une délicatesse et d’une tendresse aussi innées ? Pas grand monde !
Force et sincérité
En incarnant Jean-Louis, le berger, dans le cinquième opus de Guiraudie, un grand acteur est véritablement en train de naître. Raphaël Thiéry n’impose pas simplement son physique puissant. Il offre à chaque apparition un véritable supplément d’âme à ses personnages. Le comédien enchaîne ensuite les rôles pour la télévision et le cinéma, jouant avec toujours plus de force et de sincérité. On l’aperçoit dans Le Sang de la Vigne (2013), Family Business (2020), Germinal (2021), Le Voyageur (2021) ou Polar Park (2023).
« Le cinéma ? Ce n’était pas gagné ! »
Au cinéma, il joue dans Frères ennemis de David Oelhoffen (2018), Sous les étoiles de Paris de Claus Drexel (2020) ou La dégustation d’Ivan Calbérac (2022). À chaque fois, son jeu, son charme, cette vérité atypique qu’il dégage, frôlent, l’air de rien, le sublime. Puis il rejoint Louis Garel, Yolande Moreau et Noémie Lvovsky à l’occasion du tournage du nouveau film de Pietro Marcello, L’ Envol (2020). C’est son premier grand rôle. Et les critiques sont là-aussi unanimes.
« Le Raph »
Pourquoi Raphaël Thiéry a-t-il tant d’aisance ? Peut-être parce que l’homme assume depuis longtemps toutes ses failles, à commencer par cet œil atrophié (Il a subi des dizaines d’opérations), qui l’a tant fait souffrir mais qui a aussi façonné sa personnalité. Peut-être encore parce qu’il garde la tête sur les épaules. Il sait bien qu’à Anost (71) dans ce petit village morvandiau où il a choisi de vivre, il sera ad vitam « Le Raph’ ». Il aura toujours sa place au pub pour jouer de la cornemuse. Savoir cela lui remplit le cœur et l’âme d’une joie unique. Peut-être, enfin, que tout est dû à ce gigantesque travail fourni en amont, pendant toutes ces années, car Raphaël Thierry porte en bandoulière bien d’autres vies professionnelles. Il est avant tout musicien, conteur, membre actif d’associations culturelles, à l’instar de l’Union des Groupes et Ménétriers du Morvan (UGMM), un des créateurs du festival Printemps de l’Auxois à Vitteaux et l’une des figures de La Fête de la Vielle d’Anost...
Une carrière bien fournie
« Ce sont mes frères qui m’ont offert ma première cornemuse. J’avais 17 ans ». L’instrument dompté, le voilà sur scène. Dans les années 80, il fonde avec l’ami Christophe Raillard Faubourg de Boignard, un groupe de folk-rock progressif qui l’entraîne aux quatre coins de l’hexagone et bien au-delà. Et puis vient le théâtre, à quarante ans. On retiendra la création de la Compagnie Taxi Brousse et de L’Estaminet Rouge, mais aussi la rencontre marquante avec Patrick Grégoire (auteur, comédien, metteur en scène) : « Je lui dois tant. Heureusement que je l’ai rencontré ». Ensemble ils imagineront Métallos et dégraisseurs (grandeur et décadence de l’industrie métallurgique en Auxois) Écoute donc voir (seul en scène où Raphaël Thiéry évoque le handicap) ou Les forçats du bord de la route (sur les spectateurs du Tour de France), du théâtre social, engagé et généreux. C’est de tout cela, de ces décennies de carrière majeure, qu’il puise son génie.
Dans le premier long métrage d’Anaïs Tellenne, L’Homme d’Argile, sorti le 24 janvier dernier, tourné dans le Morvan, il est fantastique. Il est toujours ce colosse, fragile, vieux garçon vivant avec sa mère dont l’existence est bouleversée par l’arrivée de la lumineuse Emmanuelle Devos. Elle est la propriétaire du château dont il est le gardien et surtout une artiste subjuguée par son physique hors normes qui lui glisse : « Vous êtes un paysage… » et chamboule sa vie. C’est l’histoire d’une rencontre improbable et sublime où la cruauté qui se mêle à l’immense beauté sont servies par un immense comédien qu’on rêve de voir sur scène, l’année prochaine, mais pour y recevoir un César...