

Selon un rapport de l’Arcep - l’autorité de régulation compétente - paru il y a quelques mois, ce ne sont pas moins de 1,6 milliard de colis qui ont été distribués en France en 2023. Un chiffre en perpétuelle augmentation qui, s’il reflète le dynamisme insolent du commerce en ligne, en dit long sur une société de consommation, déraisonnable, qui veut « tout et surtout, tout de suite ». Dernier maillon dans le processus d’achat dématérialisé, l’acheminement des derniers kilomètres est assuré par des sociétés sous-traitantes telles que ACL Transports, créées en 2010 par Romain Carrier. Le 1er avril dernier, loin d’être une plaisanterie, ce dernier annonçait sur les réseaux sociaux mettre un terme à sept ans de collaboration avec Chronopost pour les livraisons sur le territoire. Une rupture vécue comme un nouveau départ par le chef d’entreprise tant le divorce semblait inéluctable. « Nous allons poursuivre le déploiement de notre propre réseau avec un service biquotidien dans l’Yonne et dans la Nièvre, et à la demande en France et en Europe, et équilibrer ainsi notre activité de sous-traitance avec les gros chargeurs. Nous allons renouer avec la philosophie initiale : la proximité, la qualité et la confiance. » Ces mots sont assumés avec conviction et détermination par un homme peu habitué à faire dans la demi-mesure. D’autant qu’après avoir demandé, en 2023, le placement de sa société de transport sous la protection du tribunal de commerce d’Auxerre et être tout juste sorti de la procédure de redressement, ce parfait autodidacte n’entend plus endosser le rôle du « pot de terre ». Pas vraiment dans son tempérament d’ailleurs. Lui qui, par le passé, n’a pas hésité à dévoiler le dessous des cartes en ouvrant les portes de son entrepôt aux caméras pour mettre en lumière le quotidien éprouvant de ses chauffeurs-livreurs, les aberrations d’un process inique et la pression léonine dont pouvaient faire preuve certains de ses donneurs d’ordre. 1 ou 2 sauts de ligne par paragraphe.
Pour tenter de comprendre la passion qui anime Romain Carrier à défendre ces femmes et ces hommes qui servent, trop souvent, de victimes expiatoires à des clients intransigeants, il faut revenir aux années 2000. Arrivé à dix ans à Auxerre en provenance « d’un quartier difficile de Paris », il quitte l’école avant de passer le bac et fonde une famille à 20 ans à peine. En 2006, il entre dans une entreprise familiale de transport. À cette époque, les services de messagerie, de livraison de colis et de camions-taxis sont en plein essor. « J’ai commencé derrière le volant ! Le contact avec les clients et l’envie de se challenger chaque jour me plaisaient beaucoup. J’étais connu à Auxerre pour être celui qui aimait rendre service et j’ai très vite eu des responsabilités. » Avec son épouse, Céline « ma complice de toujours », il décide, quatre ans plus tard, de créer leur propre société de transport express.
« Être autodidacte n’empêche pas de faire preuve d’intelligence, celle notamment de savoir bien s’entourer. »
Elle, s’occupe de l’administratif et du commercial sur un coin de la table de salle à manger, lui, avale les kilomètres et sillonne la France et l’Europe. Le duo fonctionne à merveille. « L’aisance relationnelle, la capacité de travail et la réputation d’être réglo dans les affaires m’ont ouvert des opportunités. » Ils recrutent un, puis deux, puis trois collaborateurs, jusqu’à compter 117 salariés répartis sur deux sites à Auxerre et Sens en 2022. En 2019, ils implantent un bâtiment ultra-performant sur un terrain de 10.000 m2 dans la Plaine des Isles avec 600 m2 d’entrepôts, 520 m2 de bureaux, dix portes de quai, un point de chargement poids-lourd et une plateforme technique. Ils y intègrent un drive point-relais qui, avec 250 à 280 véhicules par jour, est aujourd’hui l’un des plus importants de Bourgogne. « En quelques années, sous l’effet de la crise sanitaire, nous sommes passés de 800.000 à 4 M€ de chiffre d’affaires annuel. Nous étions devenus trop dépendants de Chronopost et notre croissance était mal maîtrisée. » Le tout accompagné de son lot « d’emmerdements » : casse véhicules, impayés, vols, turnovers et des pénalités pouvant s’élever à plusieurs dizaines de milliers d’euros… « C’est comme conduire une Formule 1 alors que tu viens d’avoir le permis. Tout est allé trop vite. Tu peux passer les premiers virages mais les suivants… ».
Lavage pl haut-de-gamme

En 2019 toujours, Romain Carrier fait parler son instinct d’entrepreneur lorsqu’il a « une révélation » en emmenant la voiture de son épouse dans une banale station de lavage. Celle-ci n’est pas adaptée à ses véhicules, des petits fourgons et des 20 m3 avec hayon, et encore moins aux véhicules hors gabarits. Son idée : créer une piste pour leur flotte et celle des autres transporteurs. « Céline m’a pris pour un fou mais elle m’a fait confiance ! ». Nait alors, sur le même site de la Plaine des Isles, ACL Lavage, une société de nettoyage haut-de-gamme où les prestations sont faites à la main. Résultat : le succès est fulgurant avec plus de 4.000 véhicules qui se pressent sur les pistes auxerroises en quatre ans. ACL Lavage fait même le buzz auprès de la communauté des routiers où certains influenceurs aux milliers de followers classent le service comme le meilleur d’Europe. Rien que ça !
« Re-staffée », l’activité stabilisée et l’entreprise restructurée « à taille humaine », ACL Transports emploie à présent 43 collaborateurs et compte une quarantaine de véhicules. La période de redressement judiciaire derrière lui, Romain Carrier poursuit sa route avec bravoure et le même sourire imperfectible, fort de ses fondamentaux retrouvés et « malgré un contexte économique trouble ». Dans son bureau où trônent des représentations de ses tatouages et flottent les notes de Jimmy Sax pour qui il voue une véritable admiration, le P-DG quelque peu atypique le confesse volontiers : « Cela a été un épisode difficile mais enrichissant où j’ai pu m’appuyer sur des personnes formidables qui m’ont énormément appris dans beaucoup de domaines, et surtout à gérer une entreprise de plusieurs millions d’euros de chiffre d’affaires… ».