Il lui aura fallu vingt ans pour rédiger son premier ouvrage, Mémoires d’un serpent à lunettes. Derrière ce titre qui peut faire sourire se cache son propre récit, celui de Samantha Rothmann, une « première de la classe », « une intello » : « Les enfants sont durs entre eux. Cela a commencé au primaire, puis au collège et j’ai énormément souffert des moqueries. J’ai vécu une solitude absolue ».
La raison de ces railleries : un Haut Potentiel Intellectuel (HPI), à une époque où les enfants surdoués ne faisaient pas encore l’objet d’une glorification dans les séries télévisées. Contrairement à la vision actuelle des parents, qui considèrent tout enfant sachant lire et écrire de manière relativement correcte comme un futur lauréat du Prix Nobel, pour Samantha, le HPI constituait avant tout un handicap quotidien. Une existence jalonnée de moqueries, d’une impunité manifeste de la part des harceleurs, d’une inertie du corps enseignant. Une situation qui ne portait pas encore le nom de harcèlement scolaire : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde » écrivait Camus.
Et cette chose, Samantha l’a appréhendée de l’autre côté du pupitre : « J’ai enseigné les mathématiques et j’ai vu toute la difficulté de ce métier. Si vous punissez un élève, deux heures après vous avez un mail des parents et un proviseur qui vous explique qu’il faut éviter de prendre des sanctions. Il n’y a plus d’autorité possible ».
Mais Mémoires d’un serpent à lunettes, c’est aussi et surtout le parcours d’une écrivaine en devenir que l’on suit à travers une construction du Moi. Devenue ingénieure en métallurgie chez l’ancienne société Japy-Tech, où elle contribuait à la conception des réservoirs de lait destinés à l’industrie alimentaire, Samantha prend la décision en 2022, après une période de neuf ans, de changer de cap et de se consacrer pleinement à l’écriture.
Son premier manuscrit, Alphan, une légende morvandelle envoyé à quelques éditeurs parisiens, ne suscite pas de retour positif. C’est alors qu’elle décide de devenir son propre éditeur. Suivra « Mémoires d’un serpent à lunettes » marquant la fin d’un acte.
« J’avais envie de faire autre chose, de me lancer entièrement dans le travail d’écriture et d’édition. De maîtriser la couverture, de choisir moi-même de A à Z ce que je voulais présenter aux lecteurs. »
Le dualisme de la foi
Lorsqu’elle se présente aux lecteurs lors des salons du livre, qui ponctuent ses week-end, ou aux foires de village, elle incarne désormais l’image d’une jeune femme émergeant de cette « solitude absolue » : « De nature, je suis très solitaire, et c’est un exercice difficile pour moi de m’exposer ainsi. ». Ce combat, elle dit aussi l’avoir mené grâce à la religion et à sa foi : « J’ai longtemps ignoré la religion, puis j’ai lu un jour le nouveau testament et j’ai trouvé des clefs, des réponses à ma propre situation. J’ai rencontré des gens ouverts et bienveillants ».
À Fontaine-Les-Dijon, elle fréquente la paroisse, puis de fidèle, en devient organiste et choriste, forte de sa formation au piano : « Je n’avais aucune connaissance de la musique liturgique et je n’avais jamais posé les doigts et les pieds sur un orgue d’église. C’est très différent du piano. Alors j’ai appris quelques morceaux pour une première cérémonie, puis d’autres, et aujourd’hui, je suis riche d’un répertoire de quatre pages ».
Alors comment affronter ce dualisme du créateur et de la foi ? Pour Samantha Rothmann, c’est une question qu’elle se pose « parfois » entre ce que lui enseigne la religion et sa soif de liberté de créer et de justice. Dans Alphan, une histoire morvandelle, la religion est omniprésente, et pour cause. Située au 19e siècle, fondé sur une légende, ce roman qui traite de l’amour obsessionnel pourrait difficilement s’afficher parmi des œuvres « woke » : « Je suis un peu réac. J’aime le cinéma de Blier, la voix de Marielle. L’image que j’ai de l’homme idéal, c’est la virilité de Lino Ventura. J’aime le subjonctif imparfait et la musicalité des mots. Dans Alphan, l’homme est un homme tel qu’on le voyait au 19e siècle. La femme est soumise parce que c’est recontextualisé » et d’ajouter : « Le féminisme, pour moi, c’est une chose bien plus réfléchie que de réclamer l’égalité salariale. Je n’ai rien contre la galanterie ! ».
À temps-plein
En un an, Samantha Rothmann a publié onze livres dont plusieurs tomes d’un album pour les enfants, Les fourberies du chat Théodule, qu’elle illustre aussi elle-même. Onze ouvrages qui suivent un fil conducteur : la soif de justice…
Un thème qui séduit puisqu’en un an, la jeune femme a réussi son pari de vivre de sa plume : « Un jour le prêtre de ma paroisse m’a demandé ce que je faisais de ma semaine. Tous les jours, j’écris, mais j’envoie aussi des livres, je corrige, je prépare les impressions, je cherche des salons. En étant auto-éditée, je prends un risque puisque je suis juge et partie. Pourquoi les lecteurs me feraient-ils confiance ? Parce que c’est du travail. Un auteur auto-édité qui travaille sérieusement a dix fois plus de travail qu’un confrère chez un éditeur. Après, il faut compter sur le facteur chance et le bouche à oreille ».
Une chance qu’elle a su saisir en toute sérénité : « C’est un métier que je découvre. Je vois bien qu’il y a parfois des difficultés dans les relations humaines, mais je n’ai pas d’inquiétude sur mon avenir ; je sais que j’ai toujours en poche un diplôme d’ingénieure. C’est ce qui me permet aussi de pouvoir profiter de ce que je vis ».