Invités / Entretiens

Samuel Vaudoiset

Viti-culturel

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Enfant d’une famille viticole volnaysienne, Samuel Vaudoisey a pris bien des chemins de traverse avant de faire de l’univers de Bacchus son métier. (Crédit : DR)

Samuel était un enfant avec ce que l’on appelle un « avenir tout tracé ». Né en 1979 en tant que cinquième enfant d’une sororie qui rendrait Louisa May Alcott jalouse, il n’avait qu’à se baisser pour reprendre l’exploitation viticole familiale volnaysienne qu’on lui offrait sur un plateau. Pensez-vous, une occasion pareille, ça ne se refuse pas ! Sauf que Samuel, même s’il aime profondément le vin, ne se voit pas du tout faire carrière dedans. Il aime la musique, les arts et s’adonne même avec talent à diverses percussions très éclectiques.

Alors il botte en touche, et au sortir du lycée va arpenter les amphis d’histoire de l’art à Dijon. Mais du coin de l’oeil, il remarque quelque chose qu’il va considérer comme une révélation : l’IUP Denis-Diderot et sa formation aux métiers de la Culture et du spectacle vivant. Il décide alors non pas de jongler avec des massues, mais avec des chiffres. Il va ainsi pouvoir aider des compagnies de cirque à ne pas péricliter. Et puis cela lui fera voir du pays. Fort de cette certitude, il envoie des demandes un peu partout en France. Grand bien lui en prend, puisqu’il devient finalement administrateur de la compagnie Cirko Senso… À Beaune, soit à moins de 5 kilomètres de chez lui. On repassera pour le grand air.

Le monde avec lenteur marche vers la sagesse

Mais au bout de quatre ans, Samuel se sent un peu à l’étroit. Il s’interroge toujours. Et un jour pas comme un autre, il sort de chez lui avec son barda sur le dos et part à pied sur les chemins de Compostelle. 73 jours de marche plus tard, il est à Fisterra, au bout du bout de l’Espagne, devant l’océan qui le regarde, impavide. Il appelle une de ses soeurs : « Je suis arrivé au bout, je fais quoi maintenant ? ». La réponse est logique : « Ben, nage ! ». Alors Samuel obéit et se jette à l’eau.

Il met de côté sa timidité et sa modestie en acceptant un poste à Dijon dans la Compagnie l’Artifice, même s’il pense que tout cela est trop gros pour lui. Une bonne idée, puisque de comptable, il devient au fil du temps responsable financier. Il est alors aux premières loges – littéralement – de l’édification en 2013 de la Minoterie, scène de théâtre dijonnaise pour toutes les générations. Une Minoterie dont il devient l’administrateur en 2015. Rien n’était trop gros pour lui, finalement.

Amor fati

L’histoire aurait pu s’arrêter là, avec une vie devenue bien calme. Maintenant marié, avec une fille, une maison et un travail intéressant, Samuel n’a plus trop de raison de se remettre en question. Sauf que le destin est cruel, et qu’en 2023 le vernis craque un peu. Samuel se rend compte que son problème de myopie si problématique depuis son enfance cache en fait un mal bien plus important.

Il comprend enfin qu’augmenter la taille de l’écran de l’ordinateur au fil des ans n’était qu’un palliatif à son mal, et il contacte l’association Voir et Percevoir qui lui permet d’accepter son handicap de vision très dégradée, même si cette phase lui semble insurmontable. Il avoue : « Le handicap visuel est un handicap invisible qui entraîne beaucoup d’incompréhensions, de quiproquos, de difficultés diverses, de moqueries. » La même année, Samuel perd son père. Ces deux événements funestes sont probablement les déclencheurs d’une nouvelle remise en question. Après être parti, il lui faut maintenant revenir.

Le retour du fils prodige

Un retour métaphorique, mais néanmoins très symbolique puisque Samuel décide en 2025 de revenir non pas strictement à Volnay, mais dans l’univers du vin de Bourgogne qui a bercé son enfance. Conscient de la valeur de la culture du vin, il fonde sa société « En Bonnes Compagnies »… un nom qui marie à merveille les multiples passions qui l’ont animé toute sa vie. Il affiche fièrement son changement de cap : « Après avoir travaillé avec passion au sein de compagnies et de théâtres pendant plus de vingt ans, j’ai décidé de changer de voie : dorénavant, je serai caviste itinérant et indépendant ! ».

« J’ai laissé la viticulture. J’ai gardé la culture… et le vin ! »

C’est ainsi qu’il propose aussi bien des animations de dégustations/ventes de vins de Bourgogne à domicile pour les particuliers ou des prestataires touristiques que des dégustations originales ou prestigieuses. Imaginez un peu siroter joyeusement de vieux millésimes, ou participer à des dégustations verticales (un même vin sur plusieurs années). Cela vous semble trop conventionnel ? Alors imaginez faire cela lors d’une « rando-dégustation » en forêt ou dans les vignes, histoire de vous imprégner du terroir bourguignon. Ou, encore mieux, d’investir des lieux patrimoniaux comme des châteaux ou des abbayes afin d’unir tous les aspects culturels tournant autour du vin.

In vino veritas

Vous avez peut-être l’impression qu’il s’agit d’une reconversion un peu bizarre, comme celle d’un courtier en bourse qui se découvrirait pizzaiolo, tailleur pour dames ou philanthrope. Mais c’est en fait tout le contraire. « J’ai laissé la viticulture. J’ai gardé la culture… et le vin ! » En effet, Samuel a assimilé le fait qu’il faut intéresser les amateurs de vins – vétérans ou aspirants - à autre chose qu’au vin lui-même afin de le sublimer. Qu’il faut le montrer, le faire vivre, le rendre encore plus beau, plus convivial, au-delà de sa simple robe et de ses arômes. Pour cela, rien de plus logique que de le… mettre en scène. Et ça tombe bien, c’est exactement ce qu’il sait faire depuis si longtemps. Samuel Vaudoisey a simplement renoué avec ses racines sans se renier lui-même. Il trace un nouveau sillon, dans une ultime remise en question… qui trouve enfin une réponse.