Serge de Bucy
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Serge de Bucy

Vigneron voyageur.

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Photo de Serge de Bucy
« Il y aura des évolutions sur la façon de conduire la vigne je pense pour essayer de coller à ces contraintes de sécheresse qui semble être une tendance lourde sur le long terme. En 2050, on sera plus proche des Côtes-du-Rhône que de la Bourgogne d’aujourd’hui. » (Crédit : JDP)

Futur ingénieur agricole, Serge de Bucy découvre durant ses études le monde du vin et du même coup qu’il « aimerait bien travailler là-dedans ». Son maître de stage qui travaille au groupe Seagram, (alors propriétaire des champagnes Mumm ou Perrier-Jouët ou du cognac Martell) lui rétorque que « sans DNO -diplôme national d’oenologie – ça risque d’être un peu compliqué ».

Il enchaîne donc sur cette nouvelle orientation, devinant, « ce qui s’est avéré vrai par la suite », que faire du vin est un métier à part : « C’est un produit qui intéresse tout le monde, qui éveille la curiosité et qui donne des satisfactions. Quand on fait du vin, on est heureux de ce qu’on a obtenu, je pense davantage que dans d’autres productions agricoles… c’est un secteur qui fait rêver. Et je me voyais plus dans la production, à “faire” moi-même quelque chose dans le domaine du vin, que d’être un conseiller. J’avais vu le monde agricole vis-à-vis des conseillers agricoles… tout n’était pas rose, on va dire. Au moins quand on produit, si ce n’est pas bon on ne s’en prend qu’à soi-même et si c’est bien, on a une satisfaction légitime ».

Après le vignoble de Champagne, puis le service militaire direction le Bordelais pour combler un délai de quelques mois avant d’intégrer le DNO. « Je me suis dit : t’y connais rien du tout, Serge. Donc je suis parti au château de Cach, dans le Haut-Médoc, et là j’ai tout fait, planter de la vigne, tractoriste, j’ai fait tout ce qu’on fait dans une vigne pendant huit mois jusqu’aux vendanges. J’ai commencé les vendanges et les vinif’ sur le château, et j’ai à peine fini que j’étais à Dijon pour commencer mon DNO ! ».

De Bordeaux à l’Alsace

C’est là, durant deux ans, que Serge de Bucy va véritablement apprendre le vin, à une époque où le vignoble bourguignon a tout de même moins le vent en poupe que le Bordelais : culture de la vigne, oenologie (comment on produit le vin), microbiologie, chimie, un volet juridique (enseigné par un employé de la répression des fraudes !), distillation… et dégustation. C’est en 1991, suite à son diplôme qu’il débute véritablement : « J’ai commencé à travailler sur la récolte de 1991 alors que c’était une petite année car il avait gelé à peu près partout en France, à comparer à 2021, sauf dans une région : l’Alsace ».

Serge de Bucy rejoint à Colmar une cuverie qui vient d’ouvrir, appartenant à la coopérative Wolfberger. « J’ai essuyé les plâtres ! », s’amuse-t-il. Responsable des vinifications, Serge de Bucy reconnaît avoir « beaucoup appris. On vinifiait plus à la dégustation, on était moins tributaire de l’aspect analytique qu’aujourd’hui. Nous n’étions que trois, on avait vinifié une très grosse quantité de jus de raisin, ce qui n’est plus envisageable, fait toutes les fermentations et les fermentations malolactiques. On produisait les vins de base pour les Crémants d’Alsace, plus toute la gamme des vins tranquilles Gewurztraminer, Riesling… tous les cépages alsaciens. »

« Si ce n’est pas bon on ne s’en prend qu’à soi-même. Et si c’est bien, on a une satisfaction légitime. »

Il se souvient de son émotion au moment de goûter « ses » premiers vins, une émotion jamais démentie après des années d’expérience. « Même si c’est aussi une angoisse, c’est comme un accouchement, c’est une épreuve mais à la fin c’est une satisfaction… C’est pareil pour le vin. La différence c’est que pendant qu’on vinifie on fait tout pour réunir les ingrédients et avoir un vin le plus qualitatif possible, mais il y a toujours une part d’imprévu… et la surprise de la découverte. Ça peut être une mauvaise surprise, mais on essaye de faire en sorte que ce soit une bonne surprise. Parfois, c’est une très bonne surprise et c’est une émotion à ce moment-là ! C’est cela qui me fait vibrer, bien plus qu’acheter du vin et négocier des prix ».

Le futur en question

Après l’Alsace, un nouveau vignoble sur la carte de Serge de Bucy : la Loire, où il va effectuer à partir de 1994 l’essentiel de sa carrière. Il débute dans une maison de négoce, Vinival, qui fait du muscadet et du vin d’Anjou « et c’était une boîte assez dynamique, après on s’est installé en Touraine où j’ai vinifié d’autres cépages comme le sauvignon ». Vinival est racheté en 2004 par Les grands chais de France, le groupe de Joseph Helfrich. « Il a commencé la croissance sur la Loire et je me suis retrouvé responsable de tous les achats et de toutes les vinifications et ce qui touchait à l’oenologie. Quand j’en suis parti, on était n°1 du Val de Loire et surtout on avait mis en place et développé un secteur où je n’avais pas d’expérience, celui des vins effervescents. » Des positions dominantes, un pied dans toutes les régions… « Moins de surprises. En 2016, je me disais : encore dix ans à faire… Quand on commence à se dire ça, c’est le moment de se poser des questions pour le futur ! »

En 2016, Grands chais de France rachètent Bejot (Chartron et Trébuchet, Jean-Baptiste Béjot, Moingeon la maison du Crémant, Moillard, Pierre André et la Reine Pédauque), alors ébranlé par des accusations de fraude, et c’est ainsi le groupe de Joseph Helfrich met le pied en Bourgogne. « Il a pu tout de suite avoir un grand vignoble de presque 300 hectares, des sites de vinification, des sites où on élève le vin en fûts… et tous les gens qui avaient le savoir-faire et l’expérience à Chablis, à Meursault, dans le mâconnais, dans le beaujolais. Du jour au lendemain, il devenait un vrai opérateur sérieux de la Bourgogne ».

Arrivée en Bourgogne

L’occasion est trop belle pour Serge de Bucy qui arrive le 1er janvier 2017 en Bourgogne et découvre un univers. « Le pinot noir ne se vinifie pas comme les autres rouges. Je me suis beaucoup appuyé sur les gens en place, c’étaient des gens de qualité, on les a gardés et on a bien fait. Là où on a mis notre patte, c’était de mettre les moyens pour que l’élevage en fûts se passe bien et que la qualité soit maintenue. »

Des appellations régionales aux 1er Cru (et un Grand Cru, un Corton Charlemagne), comment qualifier les vins signés par Serge de Bucy et ses équipes ? « On essaye de faire des vins vraiment représentatifs de leurs appellations, typiques, avec un style plus appuyé sur la fraîcheur et la modernité par rapport à certains de nos concurrents ». Même s’il est difficile de choisir parmi les 200 références bourguignonnes de la Maison Moillard, Serge de Bucy se dit fier de « la cuvée en bouteille prestige de crémant chardonnay, qui à mon avis est vraiment aboutie. On révèle bien le potentiel du chardonnay dans sa version bulles. Après égoïstement, il y a mes bébés, ceux que je vinifie directement ! J’ai des Mâcon Village ou des Pouilly-Fuissé ou des Chablis, dont je suis fier. Ce que je cherche c’est de donner du plaisir et des vins typiques de la Bourgogne, je ne cherche pas à sortir de ce qui est attendu mais avec un style plus moderne, plus expressif, plus frais. Mais je pense, ajoute-t-il modestement, que l’on a encore du chemin à faire quand j’ai dit tout ça ».