Piano ou sciences ? Le choix de Sophie a été simple, ne pas choisir. Pendant son enfance à Tours, cette fille d’un ophtalmologue et d’une pianiste, inspirée par les deux parcours, a mené les deux de front en obtenant son bac scientifique d’une part et le prix du conservatoire de l’autre.
« Ça semblait impossible mais jeune déjà j’ai dû faire preuve d’obstination. » Elle enchaine avec maths sup et math spé pour intégrer ensuite l’école des Mines de Paris.
« Je ne savais pas ce que je voulais faire mais j’aimais la nature, les sciences. Un étudiant m’a conseillé une école d’ingénieur en me disant que ça ouvrait toutes les portes alors qu’une conseillère d’orientation voulait m’en dissuader malgré mon bon niveau. Là encore, j’ai dû m’opposer mais c’était difficile de s’affirmer. »
Les défis n’ont jamais effrayé Sophie Kerob. Après trois ans de physique nucléaire dans une école où elle s’initie aussi à la finance, elle obtient son diplôme mais ne sait toujours pas quoi faire. « On m’a conseillé de faire du conseil en stratégie car on y touche à tout. »
Elle intègre alors le cabinet Arthur D. Little à Paris, intervient sur des dossiers touchant aussi bien au chocolat qu’à la chimie ou à la parfumerie mais ne ressent toujours pas le déclic recherché, s’épuisant au travail à le chercher.
« Je décide de faire un MBA pour ralentir le rythme », assure-t-elle avec sérieux.
En route pour Harvard
Le film Love Story dont l’action se déroule sur le campus universitaire d’Harvard donne un nouvel objectif à atteindre à cette brune pétillante. Elle postule et est admise dans l’une des plus fameuses écoles américaines.
Elle obtient plusieurs bourses, un coup de pouce de son dernier employeur et un prêt à taux zéro pour vivre cette expérience que trop de français modestes pensent inaccessible.
« Même quand on vient de province et que l’on a peu de moyens financiers, si la motivation est forte et que l’on demande de l’aide, on peut y arriver. »
À la fin de ses années de cursus, une vague idée de carrière se dessine. « Je me suis demandée quelle presse je voulais lire le matin. Sûrement pas la finance ou la technologie dure. Par contre, la santé, la science de la vie, la biotech m’intéressait. »
Sur un gros coup de bluff bâti sur un apprentissage d’un lexique technique qu’elle répète pendant son entretien d’embauche, elle intègre une entreprise de biotechnologie à Boston.
Dans la pratique, elle gère des projets et apprend sur le tas pendant un an jusqu’à se voir proposer la direction du business développement en Europe mais un coup de téléphone va changer la direction de son parcours.
Une gazelle sur la ligne de départ
« Un ancien manager d’Arthur D. Little me contacte avec trois idées de start-up dans la santé. On est en 2000, c’est le boom des start-up et les financements coulent à flot. Ils cherchaient un troisième associé, jeune, plutôt une femme. »
Elle retient le concept de Direct Medica. D’abord plateforme pour faciliter les commandes de médicaments des pharmaciens auprès des grossistes, après avoir frôlé la catastrophe, une nouvelle orientation amène les associés à repenser leur concept.
Direct Medica devient une plateforme de relation client dans la santé pour digitaliser les parcours des médecins, des pharmaciens et des patients. La start-up gère ainsi Tabac Info Service ou encore Cancer Info. Fin 2019, Direct Medica compte 450 collaborateurs et affiche 40 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Une croissance qui attire Webhelp. « La licorne a fait l’acquisition de la gazelle pour environ 100 millions d’euros », sourit Sophie Kerob en utilisant un langage propre à l’univers des start-up.
En parallèle, alors âgée de 40 ans, la cofondatrice divorce sans avoir d’enfant. « Je rêvais d’une grande famille donc j’ai décidé d’adopter. Seule, les démarches ne sont pas faciles. » Un nouveau défi qu’elle n’hésite pas à relever en partant à Tahiti pour adopter avec succès.
Au service des autres
Alors que cette élégante cinquantenaire pourrait se consacrer à sa nouvelle famille après avoir obtenu un chèque conséquent suite à la vente de Direct Medica, Sophie Kerob préfère en consacrer une partie à la fondation qu’elle créée : Zéphyr.
« Je voulais faire un petit geste qui peut changer la vie des gens, être utile à la société. Je voulais changer 50 vies mais je veux continuer parce que c’est satisfaisant d’aider la vie de quelqu’un. »
Un simple témoignage suffit à la récompenser des fonds apportés pour intervenir sur un projet de santé partout dans le monde. Elle prend tout de même trois mois de repos mais encouragée par des investisseurs et d’anciens collaborateurs, elle se lance dans un nouveau challenge avec de nouveaux associés.
« Je voyais des gens avec des talents mais sans visibilité, de l’autre, des gens qui avaient besoin d’éclairage mais qui n’avaient pas de réseau. On me demandait souvent si je ne connaissais pas quelqu’un qui… »
Les contours de Wooskill se dessinent dans sa tête avant d’être officialisée. D’abord installée à Paris, la start-up, « séduite par l’écosystème local », déménage à Mâcon.
Sophie Kerob partage alors son temps entre les deux villes pour gérer les 25 salariés. La plateforme de mise en relation réunit 2.000 talents capables d’assurer à distance aussi bien des ateliers de yoga que de mathématiques, de coaching de vie que de marketing digital.
Au total, 150 domaines sont répertoriés pour répondre aux besoins de tous les publics. Depuis janvier 2023, Wooskill propose son offre au grand public mais aussi aux professionnels avec sa version Wooskill for Business qui met les entreprises en relation avec des intervenants d’exception, champions, artistes de renom, anciens militaires, politiciens…
Et quand la start-up atteindra son objectif - 3.000 commandes par mois -, Sophie Kerob envisagera peut-être alors de se reposer, un peu.