Comme dans la chanson, Sylvain Baudry venait d’avoir 18 ans quand il a commencé à rouler. Un début évident pour ce fils de transporteur : « Du plus loin que je me souvienne il y avait du gasoil dans le biberon. J’ai toujours connu ça ! J’avais trois mois quand on m’a monté pour la première fois dans un camion… je n’en suis jamais redescendu ! »
Pas si évident en réalité : scolarité arrêtée à 14 ans, premier CAP « parce que mes parents étaient désespérés que je ne fasse rien, que j’ai raté, parce que je ne suis pas allé aux examens » et un second, de conducteur-routier : « ça, ça me passionnait alors je l’ai eu haut la main ! »
L’armée, les kilomètres avalés dans toute l’Europe, l’Est avant la chute du Mur et « puis au bout de quelques années, je me suis dit : peut-être qu’il t’en manque un bout. T’as fait ton expérience, tes voyages… et maintenant ? » Une première aventure entrepreneuriale dans le transport finit mal.
« J’étais jeune, je commençais… et j’ai bouffé tout ce que je n’avais pas. Mais je pense qu’on apprend plus de ses échecs que de ses réussites ! » Le jeune Baudry se transforme en vendeur au porte-à-porte et vend des encyclopédies, du matériel de cuisine… « Ça m’a débêté ! Ça m’a enlevé l’appréhension que j’avais, parce qu’il y a une chose que je rencontre chez tous les autodidactes, c’est le manque de légitimité, la peur du rapport à l’autre... et cette expérience m’a aidé. »
Apprendre, comme une ascèse
Il reprend finalement la route, s’associe et monte une entreprise de transport qui est rachetée par le groupe GT location. « Une bonne boîte, avec un management qui se voulait novateur. Ça m’a servi parce qu’ils avaient une école de management. J’ai commencé à prendre des cours et là je me suis aperçu que j’étais con comme un parpaing. Je me suis aperçu que toute cette culture que je n’avais pas eue à l’école, c’est ça qui me manquait. »
À la même époque, Sylvain Baudry perd ses parents dans un accident et se dit qu’il « tourne en rond ». Il s’astreint à un apprentissage régulier, comme une ascèse qui le poursuit encore, « quatre heures de ma vie chaque semaine à apprendre quelque chose. J’ai 55 ans et je continue ! »
Malgré tout, il n’est pas épanoui… et en conclut que s’il veut manager, ce n’est pas comme cela qu’il veut le faire… Les « process, les fiches de procédure, les attentes, les contraintes, ça ne va pas. Les gens ne sont pas heureux, ils ne viennent que pour la paye, cette espèce d’injustice je la voyais bien. » Il quitte GT, entre comme responsable logistique dans ce qui deviendra Soreal (alimentation animale), avec un patron qui lui donne « beaucoup d’autonomie » est rapidement en charge de la qualité, de la logistique, de l’administration des ventes, « un garage poids-lourds et une trentaine de personnes à gérer. Je me suis éclaté ! »
« Il y avait du gasoil dans mon biberon. J’avais trois mois quand on m’a monté dans un camion... je n’en suis jamais redescendu ! »
Devenu directeur des usines, il retourne à l’école, passe une licence de logistique, une maîtrise de transport, une attestation de capacité, « parce qu’à un moment, il faut faire les choses. »
Ces débuts, racontés avec une élégance qui en dissimule sûrement les douleurs, ont sans aucun doute forgé le management novateur que Sylvain Baudry s’efforce aujourd’hui d’appliquer chez Logivia, née de la fusion de trois entreprises de transports : Dijon céréales logistic (filiale transport de la coopérative Dijon Céréales), le service logistique de la coopérative Bourgogne du Sud et Pôle logistique, structure de transports créé par Sylvain Baudry en 2013, filiale de Soréal.
Il en est aujourd’hui le directeur général, il est également Dg de Soréal, directeur du pôle transformation, énergies et logistique de Dijon Céréales (et mandataire social, il y tient, des sociétés qu’il dirige). Ce « modèle de management » repose sur trois piliers : autonomie. Responsabilité. Mesure. Sylvain Baudry estime qu’un chauffeur par ailleurs père de famille, impliqué dans la vie de sa commune, avec un crédit de 25 ans n’a pas besoin qu’on lui explique comment travailler.
« Ça n’aurait ni queue ni tête. Quelle prétention aurais-je de dire que je sais mieux travailler que les 180 collaborateurs de Logivia ? On fait confiance aux gens, avec quelques règles. J’ai donc décidé à la création de Logivia qu’on allait expliquer aux équipes le pourquoi et plus le comment. Celui qui fait, sait. Quand on prend une décision, on va d’abord voir celui qui est concerné. On est une communauté de compétences. Ce que je dis aux cadres c’est : “pourquoi nos collaborateurs qui sont ceux qui créent de la valeur nous payent-ils ?” Ça les perturbe un peu au début ! »
Si perturbant que Flore-Anne Tesnier, responsable des « Richesses humaines », arrivée en 2019 à Logivia le reconnaît : ce management n’est pas pour tout le monde, mais ceux qui restent savent pourquoi : « On a plus d’engagement, moins de turn-over, il y a un vrai sentiment d’appartenance à l’entreprise. C’est atypique, mais on se sent plus autonome et reconnu. »
Vision politique
« Il n’y a qu’un ministre de l’emploi pour croire qu’une entreprise créé de l’emploi ! , appuie Sylvain Baudry. Une entreprise sert à créer de la valeur, dans un système libéral qui est très dur. Agressif. Le travail doit permettre de protéger nos collaborateurs. Ils ont une paye linéaire, cette dureté des banquiers, des actionnaires, ils ne l’ont pas. Eux, ils font leur métier. On doit donc leur laisser suffisamment d’autonomie pour qu’ils fassent ce qu’ils savent faire. S’ils le font mal, c’est qu’on les a mal recrutés ! Le problème vient de l’entreprise, pas d’eux ! À part quelques passionnés, personne n’aime travailler. Ce qu’on aime c’est ce que le travail nous apporte. Moi, ce que j’aime, c’est ce que mon travail peut apporter à la société. J’ai vraiment une vision politique, au sens noble, de mon job. »
Et appliqué à soi-même : parfois Sylvain Baudry remonte dans la cabine. Les camions ont changé, mais pas la route. Elle a forgé un manager pas commun, qui dirige au plus haut niveau : à hauteur d’homme.