Sylvain Naulin
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Sylvain Naulin

De vin et d’esprit.

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Photo de Sylvain Naulin
Trop chers, les bourgognes ? « C’est certain que si vous ne buvez que du Montrachet ou du Chambertin, ça va devenir compliqué. Mais plus de la moitié du vignoble bourguignon est en appellations régionales, qui font que ce vignoble reste accessible ». (Crédit : JDP)

À la question : quel amateur de vin êtes-vous ?, le tout nouveau directeur du Bureau interprofessionnel des vins de Bourgogne (BIVB) vous demande de préciser si on préfère un avis technique ou hédoniste. Deuxième option. Réponse : « Celui qui me donne envie d’un deuxième verre ! » Profondeur et esprit, le ton est donné.

Natif d’Arcachon (et à ce titre fan de rugby, ce qui tombe bien à cette période de coupe du monde), mais point du côté viticole, Sylvain Naulin, 50 ans depuis cet été, se voyait bien « faire de la géographie et de la cartographie. Assez naturellement cela s’est tourné vers l’agriculture. J’ai fait mes études d’ingénieur agro à Bordeaux, un de nos supports pédagogiques était évidemment la vigne ».

Début septembre 1996, jeune ingénieur qui vient de finir ses études, le voilà « parachuté dans un lycée viticole en Beaujolais. Double choc culturel : un, l’élève devient prof en 24 heures, sans préparation ; deux : un Bordelais débarque dans le beaujolais. Cela a été ma première immersion dans le milieu viticole ». Il faut croire que l’osmose a eu lieu puisqu’après cette expérience, le voilà à Mâcon, rattaché à la direction départementale de l’agriculture (désormais intégrée au sein des directions départementales des territoires, Ndlr) où il est en charge du suivi de la filière viticole. Ce sera ensuite le ministère de l’Agriculture. « J’ai basculé en administration nationale à Paris au bureau du vin. J’avais déjà une grosse pancarte “ viticulture ” dans le dos. »

Comme le sparadrap sur la manche du Capitaine Haddock, cette étiquette ne le lâchera plus... Au ministère, il est « la petite main sur la réforme de la réglementation viticole européenne. Tout était remis sur la table, y compris la place et les missions des interprofessions. Je suis ressorti de cette période avec d’abord la conviction que les interprofessions étaient des structures où l’on pouvait faire des choses et que cela me rapprocherait du terrain, ce qui faisait partie de mes envies ». Ce ne sera pas pour tout de suite : le voilà secrétaire général adjoint au comité européen des entreprises vin, à Bruxelles, entre 2009 et 2016. C’est ensuite qu’il intègre le réseau des bureaux interprofessionnels de la filière, d’abord à Interloire, et désormais depuis juillet 2023, au BIVB.

Se retrouver à la tête de l’interprofession en Bourgogne, est-ce le must ? Côté pile, oui sans conteste. « Dites “ Bourgogne ” partout dans le monde et on vous répondra “ vin ”. Le vin a une place centrale dans l’imaginaire, qui génère de la valeur induite (le tourisme) et de la richesse. La place de l’institution qu’est le BIVB ne fait pas débat, c’est un interlocuteur naturel entre viticulteurs, négociants et les services publics ».

Côté face, un bémol : « Il y a un intérêt à travailler dans une région qui est économiquement dans une dynamique positive, qui a une aura extrêmement positive, il y a un côté “ prestigieux”. Mais du coup avec beaucoup de pression ! »

Le vin, objet culturel

Inutile en effet en Bourgogne d’épiloguer sur l’importance économique de la filière viticole, un marché de plus de deux milliards d’euros dans la région en 2022. Mais il est aussi plaisant d’envisager le vin d’un tout autre regard, historique et culturel. Sylvain Naulin est à ce titre quasiment intarissable…

« Quand on dit que le vin a 2000 ans d’histoire, ce n’est pas juste un argument commercial. Cela structure une économie, un paysage, une architecture, ça cristallise des savoir-faire. »

« On est dans un produit agricole qui a une dimension sociale et territoriale particulière. D’abord, vous implantez un vignoble pour a minima une génération. Il y a ensuite un aspect de domestication de la nature : la vigne est une liane. Si on la laisse, ça grimpe, partout… Il y a également une dimension de maîtrise des fermentations, une inscription dans le temps d’une boisson que l’alcool rend moins périssable, couplé à une recherche plus ou moins maîtrisée de l’ivresse selon les sociétés. Et puis il y a une dimension sociale : jusqu’à une époque pas si lointaine, le vin faisait partie du panier alimentaire quotidien car la présence de sucres en faisait une source d’énergie pour les personnes qui avaient une activité physique. Il a ensuite été élevé au fur et à mesure du temps sur des consommations plus élitistes par l’identification de terroirs. Enfin il y a une dimension religieuse : la place du vin dans la liturgie chrétienne est prépondérante… » Profondeur et longueur en bouche, que voilà une conversation plaisante !

S’adapter, sans modération

Pour autant, Sylvain Naulin, en première ligne d’une structure interprofessionnelle qui doit préparer l’avenir, sait aussi se faire pragmatique. Les changements climatiques longtemps annoncés étant devenus la réalité, le BIVB participe naturellement aux mutations de la filière.

« Des vendanges qui commencent le 15 octobre en Bourgogne avec des raisins à 9 degrés, je n’en ai pas vues depuis longtemps… On est plutôt sur des vendanges plus précoces, des maturités plus avancées, il va falloir que l’on s’adapte à ça, sans quoi les caractéristiques de nos vins – des vins qui restent sur la fraîcheur, l’élégance - seront radicalement remises en cause. S’adapter cela veut dire que le facteur humain est sacrément bousculé et en un temps record sur une culture pérenne et traditionnelle. Il faut être capable de réinventer le logiciel des opérateurs du vignoble pour répondre à des évolutions qui se produisent à une vitesse jamais connue. Peut-être va-t-on revenir vers des clones que l’on avait un peu délaissés dans les années 70-80 parce qu’on cherchait plus des rendements en sucre et qu’on voulait améliorer la précocité ».

Le BIVB s’engage d’ailleurs résolument sur le mode adaptation en soutenant par exemple le projet Canopée (production de matériel végétal, greffons et porte-greffes, en serres confinées, bioclimatiques) avec ses homologues du Beaujolais et de la Champagne. Sylvain Naulin a lui pleinement conscience que l’Interprofession aura un rôle prépondérant dans la mutation de la filière étendard de la Bourgogne.

Signe qui ne trompe pas : les trois Cités des Climats de Beaune, Chablis et Mâcon - dans lesquelles le BIVB est un acteur majeur - véritables sas de compréhension du vignoble bourguignon à destination du grand public n’éludent pas l’impact du changement climatique sur le secteur. Sylvain Naulin s’en félicite d’autant qu’il juge la scénographie « pédagogique sans être doctorale. Ces Cités dont on m’a donné les clefs à mon arrivée, sont les portes d’entrée du vignoble pour donner envie d’aller plus loin, rencontrer des vignerons, des maisons, visiter des vignobles ». Et finir évidemment par une dégustation que la loi nous oblige depuis 1991 à préciser « avec modération ».