Vincent Thomas
Invités / Entretiens

Vincent Thomas

Destin universitaire

Lecture 12 min
Vincent Thomas
Après neuf ans à la tête de l’université bourguignonne (une fois son mandat actuel achevé), Vincent Thomas n’envisage pas de se représenter. (Crédit : JDP.)

Vincent Thomas est aujourd’hui à la tête d’une grande institution universitaire. Son parcours, loin d’être tracé d’avance, est surtout le fruit de rencontres marquantes. Issu d’un milieu familial riche en professeurs du secondaire, le monde universitaire « n’était pas un sujet du quotidien ». Adolescent, l’idée de devenir professeur s’impose, « sans doute par mimétisme : transmettre ce qu’on sait, être capable de dire ce qu’on ne sait pas, me semblait une noble mission ». Germaniste et germanophile, il se voit alors professeur d’allemand au lycée. Une vocation initiale qui ne survivra pas à la prise de conscience de ce qu’est l’adolescence, un âge « nécessaire, mais parfois difficile… J’avoue que je ne me suis pas vu enseigner exclusivement à des adolescents toute une carrière, j’ai manqué de courage ». Au lycée, il ne « travaille que ce qui [lui] plait » : la littérature, la philo, les langues (l’allemand surtout), l’histoire-géo. Ces matières, qu’on classait « plutôt dans la catégorie littéraire, m’attiraient car elles me paraissaient ouvertes sur le monde d’une manière plus immédiate que les sciences expérimentales, que je trouve paradoxalement empreintes d’une certaine abstraction ».

L’enseignement comme fil rouge

Le bac en poche, un choix d’orientation s’impose. Une hypokhâgne est envisagée pour préparer Sciences Po, « qui était perçue comme le graal pour le jeune élève que j’étais à cette époque traversée par le chômage de masse et le sida ». Mais ses parents, après discussion, le poussent vers la faculté de droit, y voyant un chemin offrant « plus de possibilités » pour préparer les concours administratifs, Sciences Po, ou pour devenir avocat, magistrat. C’est ainsi qu’il s’engage dans un cursus de juriste, jusqu’à obtenir un DEA de Droit de l’économie. Toutefois, pour le jeune homme, l’avenir reste flou… Et c’est là, sous la direction du professeur Éric Loquin, qu’il fait une découverte fondamentale : « J’ai pris la mesure de ce qu’était la recherche en droit. Un véritable déclic : on nous demandait enfin ce que nous pensions de ce que nous apprenions, alors que jusqu’ici nous ne faisions qu’empiler des connaissances, des concepts, des raisonnements juridiques ». Ce qui le séduit, ce sont les « deux libertés fondamentales inhérentes à la recherche : celle de pouvoir choisir le sujet sur lequel travailler et celle de choisir ce qu’on veut en dire ». Ainsi l’enseignement redevient un objectif de carrière, mais il sait cette fois que cela se fera à l’université. Après sa thèse, soutenue en quatre ans sous la direction de la professeure Martin-Serf, il obtient la qualification nécessaire pour être recruté à Dijon comme maître de conférences en droit privé en septembre 1999. « C’est véritablement à partir de ce premier poste que je découvre le monde universitaire, cette chose un peu étrange, dans toute sa complexité », avoue celui qui se décrit comme un « pur fruit » de cette université. Très vite, il saisit également l’importance de bien appréhender la manière dont fonctionne ce monde, car in fine ce sont « les universitaires qui gèrent l’université ».

Et s’il veut s’épanouir dans ce travail, il faut s’impliquer dans des responsabilités collectives, avec un enjeu clair : « essayer de faire bouger les choses pour les améliorer ». Celui qui confie détester la routine commence modestement puis gravit les échelons, enchaînant les postes tous les trois à cinq ans : directeur adjoint puis directeur de l’institut d’études judiciaires, responsable pédagogique du master juriste d’affaires, vice-doyen, doyen, administrateur de l’université et enfin président. « Ce qui fait la richesse de ce parcours, c’est aussi les rencontres. Elles sont extraordinaires car elles sont sources de progrès. Des collègues comme Gérald Simon (droit du sport), Paul Lecanu (droit des sociétés), ma directrice de thèse Raymonde Martin-Serf ou encore mon ancien professeur Daniel Tricot ont été des marqueurs essentiels. Les étudiants aussi m’apportent énormément. Selon moi, nous avons une nouvelle génération d’étudiants tous les quatre ans, avec de nouveaux codes, des valeurs, des priorités différentes de leurs prédécesseurs. Daniel Tricot, justement, disait : “ On n’est pas obligé de tout accepter dans la nouveauté, mais on ne peut réfuter qu’il y ait nouveauté”, une leçon fondamentale et un piège absolu pour l’enseignant qui n’aurait pas conscience de cela, face à ces jeunes pleins de nouvelles idées qui nous bousculent un peu forcément, mais qui nous font aussi tellement avancer ».

Le Covid pour premier défi

Fin 2018, au détour d’un déjeuner, une proposition inattendue s’invite au dessert : on le sollicite pour la gouvernance de l’université. « J’ai alors pensé que l’on allait me proposer la vice-présidence de l’établissement, un poste que j’étais prêt à accepter, après mon expérience de doyen ». En réalité, son interlocuteur a une autre idée en tête : le siège de président. « Pour moi, c’était une surprise. Cela représentait un engagement très particulier, impliquant une certaine forme de renoncement, qui allait réduire ma part d’enseignement à un seul cours par semestre et me contraindre à dire adieu aux publications… Il m’a bien fallu six mois pour peser le pour et le contre »

Sa première campagne présidentielle dure « presque 18 mois ». Ne connaissant pas suffisamment l’université au-delà de sa faculté, il entreprend un tour de l’institution, rencontrant doyens, directeurs de laboratoire pour comprendre leur réalité et leurs besoins. L’objectif : « être au service, à l’écoute » mais aussi « porter une stratégie commune » construite « avec la communauté ». Il est élu président le 9 mars 2020. Trois jours plus tard, le 12 mars à 20 heures, le président de la République annonce la fermeture des universités en raison de l’épidémie de Covid-19. « Ce fut alors un sentiment de vertige, le sol s’est déroulé sous mes pieds ». Puis finalement, en seulement 15 jours, l’université va se transformer en université numérique avec un mot d’ordre : « on fait à distance partout pour tout ! Cette révolution numérique réalisée en très peu de temps, a montré ce dont était capable ce paquebot qu’est l’université. Un paquebot capable de fulgurance à la manière d’une Ferrari. Cela a été quelque chose d’assez bluffant et une preuve du haut niveau de compétences des personnels, toutes catégories confondues ». Après les confinements, d’autres dossiers difficiles s’imposent, notamment la politique de site et la perte, en juillet 2021, du projet I-Site, représentant « 10 M€ par an ».

« J’aurais connu trois élections et trois campagnes en cinq ans ! »

La Comue UBFC, « structure créée pour obtenir les financements I-Site n’a alors plus d’objet. Je demande à mes collègues de la Comue : “Qu’est-ce qu’on fait maintenant ensemble, quels projets ? Et comment finance-t-on ce que l’on souhaite faire ensemble ?” Pendant un an, j’attendrai en vain une réponse claire ». Face à une situation qu’il perçoit comme un « pourrissement » et une « impasse » pour sa communauté, il choisit de « repenser un nouveau projet ». Plutôt que de « chercher l’argent d’abord », il décide de construire autour d’une ambition partagée « un projet qui nous ressemble et nous rassemble », convaincu que « si le projet est bon, on aura de l’argent ». La sortie de l’université de Bourgogne de la Comue est actée au 1er septembre 2022. Cette rupture aboutit à la création d’un Établissement public expérimental (EPE) en juillet 2024, validé par décret le 4 décembre 2024. Vincent Thomas a alors commencé son deuxième mandat à la présidence de celle qui s’appelle encore l’université de Bourgogne.

La création de l’EPE entraîne un changement de périmètre, lié à l’intégration de plusieurs partenaires, ainsi que de nouvelles élections. « J’aurais ainsi connu trois élections et trois campagnes en cinq ans ». Il est assez logiquement élu premier président de l’EPE Université Bourgogne Europe. Comme son nom le laisse deviner, le statut d’EPE implique une phase expérimentale de deux ans, avec une évaluation en 2027 pour une possible pérennisation en grand établissement en 2028. « Les critères d’évaluation se basent sur ce que l’EPE/grand établissement apporte qui ne serait pas possible autrement (comme une signature scientifique commune ou un panel de formation plus large), sur la validation de la bonne marche des statuts et sur la réalité de la mise en oeuvre de la stratégie commune ». Parallèlement, ce qui restait de l’ancienne Comue a également évolué en EPE, prenant le nom d’Université Marie et Louis Pasteur.

Son président, Hugues Daussy, vient d’être élu. « Avec cette nouvelle gouvernance, le dialogue est renoué et nous envisageons déjà une gestion commune sur des objets hérités de l’ancienne Comue, via la convention de coordination territoriale. Et par la suite, notamment si nos deux EPE sont confirmées comme grands établissements, les choses seront facilitées, car on décidera des futures collaborations sur un pied d’égalité », affirme celui qui, à l’issue de son mandat, n’envisage pas de se représenter : « J’estime qu’à un moment, il faut que les gens changent aussi, qu’il faut avoir une énergie qui se renouvelle, avec de nouvelles idées… On est dans un système démocratique, on n’est pas dans un système qui est fondé sur des charges héréditaires. Mon seul souhait, c’est de laisser après moi un établissement qui soit capable d’être sur de bons rails, de développer son rayonnement, son attractivité et de permettre à chacun de trouver sa place et d’exceller. »