Vincent Yédé
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Vincent Yédé

Graine de résilient

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« Je n’ai connu que la maltraitance. J’avais la force intérieure suffisante pour me débarrasser de tout ce passé et avancer dans la vie. Mon état d’esprit m’a permis de m’en sortir ». (Crédit : JDP.)

En 1971, après une année dans un pensionnat du Dahomey où il est maltraité, son oncle ramène Vincent Yédé en France, dans le quartier des Buttes Chaumont puis à Évry : « Là, ça a été le pire. J’ai souffert de maltraitance de la part de mon oncle jusqu’à mes 18 ans. Ça a été très compliqué de vivre dans un pays qui n’est pas le sien tout en souffrant ». Malgré cela, Vincent entame des études : BTS comptabilité et gestion d’entreprises et droit commercial.

Il entre au premier magasin Carrefour de l’Essonne, à Saint-Germain des Bois, où il occupe successivement des postes de gestionnaire puis de cadre, pour n’en sortir que pour prendre sa retraite : « J’étais loin de mes parents. Je n’ai connu que la maltraitance. J’avais la force intérieure suffisante pour me débarrasser de tout ce passé et avancer dans la vie. Mon état d’esprit m’a permis de m’en sortir. »

Mais aussi de résister face au racisme auquel il a pu être confronté : « Je n’ai pas souffert du racisme. J’ai toujours tenté de comprendre, de me dire qu’ils ne connaissaient pas l’Afrique ». Cette tolérance, cette empathie, l’ont poussé vers un sport collectif, le handball, qu’il a pratiqué avec sa première épouse (Cathy décédée en 2011), jusqu’à diriger le club de Dijon, puis à occuper le poste de secrétaire général à la Ligue de Bourgogne, ou d’être aujourd’hui juré à la CCI, à s’occuper des Bachelor pour leur soutenance et organiser des échanges sur le racisme, le harcèlement, la santé mentale : « Il faut de la diversité. Sans la diversité, on ne peut pas se connaître. Et la connaissance de soi passe par la diversité. J’ai besoin de cela pour m’enrichir et j’ai besoin de transmettre ».

La graine de la réconciliation

Son passé douloureux, il aura fallu à Vincent près de 50 ans pour l’exorciser. Une réconciliation passée aussi par sa rencontre avec Chantal, sa compagne actuelle et concrétisée par un premier livre L’amour tarde, sorti le 1er décembre. Un calembour pour illustrer un autre engagement, plus jovial et convivial que les idées reçues. Car de ces dernières, il n’en n’aura conservé qu’une, notée par Gustave Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues (1813) : « Moutarde : Il n’y a de bonne moutarde qu’à Dijon. Ruine l’estomac ».

« Je suis franco-bourguignon, mais petit à petit j’accepte d’être franco-béninois »

« J’ai toujours été passionné par la gastronomie, relate Vincent. Et lorsque j’ai été muté à Dijon, j’ai découvert les produits locaux et évidemment la moutarde dans le cadre de mon travail qui consistait à passer des contrats locaux ». Pris de passion pour le condiment dijonnais, Vincent Yédé va rencontrer les grands acteurs de la filière : Fallot, Reine de Dijon… mais aussi Dominique Loiseau, Catherine Troubat (Abbaye de Flavigny) ou Catherine Mulot-Petijean. Il va participer à la création de l’association Vive la Bourgogne Franche-Comté dont Marc Desarménien (Fallot) est aujourd’hui le président.

Un engagement pour la petite graine qui le conduit à entrer dans la Confrérie de la moutarde de Dijon, à participer à son premier Chapitre puis, enfin à être nommé Ambassadeur lors du congrès oenogastronomique des confréries en 2022 par son grand maître, Christian Poyer, puis, en 2023, d’être intronisé Maître-moutardier de la confrérie issue de la Frairie des moutardiers-vinaigriers, créée en 1603 : « C’est un grand honneur et encore une affaire de transmission. Être maître-moutardier, c’est valoriser la moutarde de Dijon, la fabriquer, apprendre aux autres à la fabriquer. Faire le lien avec tous les producteurs locaux. Pendant longtemps, la moutarde n’a pas été protégée. Depuis 2010, elle a son IGP. Ça a permis de passer de 6.000 à 15.000 hectares de production en Côte-d’Or et d’obtenir des subventions qui, jusque-là, ne soutenaient que les filières canadiennes. » Aujourd’hui Vincent Yédé et Christian Poyer veulent enraciner la graine avec l’ouverture d’un Musée de la Moutarde : « On est la recherche d’une commune qui puisse accueillir un musée. Nous avons un tas de documents et d’objets qui sont en lien avec l’histoire de la moutarde ».

Une histoire de filiation

Dans L’amour tarde, c’est tout ce parcours que Vincent Yédé raconte : « Ma compagne a été très importante pour affronter ce passé et nous avons la même passion pour la gastronomie. Elle est l’arrière petite-fille des fondateurs de L’escargotière à Chenôve (ouvert en 1908 par les frères Thabard) et c’est elle qui m’a poussé à partager ces passions. C’est aussi une façon de lui rendre hommage ». Un hommage qui se poursuit avec un second livre à paraître au printemps 2026 consacré à l’escargot, l’histoire de L’escargotière et à la généalogie de la famille Thabard.

Chantal, c’est aussi celle qui lui a permis de se réconcilier avec ses origines : retourné au Bénin voir ses parents en 2004 puis en 2012, c’est en 2018 avec Chantal que Vincent Yédé rencontre le roi d’Abomey, l’un de ses cousins : « Grâce à Chantal, grâce au Roi, je me réconcilie avec mes origines même si je ne me sens pas chez moi là-bas. Je n’ai pas de souvenirs de copains. Mais je suis attaché à mon petit frère qui y est resté et je vais de plus en plus vers lui pour dire “Oui je suis béninois” et valoriser ma culture natale. Mais c’est ici que je suis enraciné, même si je suis né dahoméen. Je suis franco-bourguignon mais petit à petit j’accepte d’être franco béninois ».