En Franche-Comté il est une devise : « Comtois, rends-toi ! Nenni, ma foi ! », marqueur de la détermination des habitants, qui sied parfaitement à Vivien Sonzogni, chef du restaurant bisontin Le Parc. Celui qui passe son enfance à Gray, en Haute-Saône, cultive depuis son plus jeune âge un amour pour la cuisine.
Et si les ingrédients de ce coup de foudre demeurent mystérieux : les moments passés dans les jupes d’une mère peu portée par les arts de la table ne faisant pas recette, la mayonnaise prend toutefois dès le bac à sable. Quand d’autres jouent aux billes, Vivien plante des graines, s’invente des jardins et autres potagers. Pour sa première communion, en cadeaux de la famille, ni bible, ni argent, mais des spatules, un tablier et des livres de cuisines.
Au retour de l’école, le rituel est immuable, il s’installe devant la télévision est dévore les Bon appétit bien-sûr, les Oui chef ! et autres émissions culinaires de l’époque... Au Noël de ses 14 ans, il est le plus heureux du monde quand il déballe la dernière édition du Larousse Gastronomique.
« Le livre venait de sortir, j’étais comme fou. Ma petite sœur m’interroge alors sur la nature de ce cadeau qui me donne tant de joie. Quand je lui réponds que c’est un ouvrage sur la cuisine, elle se tourne vers nos parents en disant : “si un jour vous m’offrez un livre à Noël, je ne vous parle plus jamais de la vie !” », raconte en souriant Vivien Sonzogogni.
Cette gourmandise du jeune homme pour le monde culinaire donne des nœuds d’estomac à son père qui, dans un premier temps, lui interdit formellement d’emprunter cette voie professionnelle. L’homme, musicien régisseur de cabaret, veut protéger son fils des dures conditions d’un métier par bien des points comparables au sien. « Il me disait :“tu ne compteras pas tes heures, tu n’auras pas de Noël en famille...”. Il tenta plus d’une fois de me dissuader, mais rien n’y fît. Têtu, je n’ai jamais changé d’avis ». Il intègre alors le lycée hôtelier Hyacinthe Friant à Poligny, dans le Jura.
Sur place, il rencontre sa future compagne Noémie Paris et participe, en 2011, au championnat de France des desserts, en catégorie junior. Il a tout juste 20 ans et décroche la troisième place. Cerise sur le gâteau, Arthur Fèvre, le champion des plaisirs sucrés d’alors le repère et lui propose une place dans son équipe au restaurant deux étoiles Le Parc, situé au cœur du domaine Relais et châteaux Les Crayères, à Reims.
« J’ai fait une première année en pâtisserie au côté d’Arthur Fèvre, puis je me suis retrouvé en cuisine et Noémie m’a rejoint au poste de sommelière ». Puis, c’est un autre Relais et Châteaux qui ouvre ses portes au jeune couple : celui de Germigney, à Port-Lesney, dans le Jura. Une adresse détenue par Jocelyn Gelé, un homme pivot dans le parcours de nos gastronomes francs-comtois.
Bonne étoile et coup de fil
Après deux ans à Germigney, les amoureux se sentent pousser des ailes. Ils s’envolent pour l’Écosse. Ils posent leurs valises au Gleneagles Hotel, un établissement de luxe qui compte le seul restaurant deux étoiles du pays. « Aux débuts cela n’a pas été évident. Nous avons passés les six premiers mois à nous demander si ce que nous entendions était bien de l’anglais, s’amuse le chef. Puis, ce fut le déclic et nous avons signé pour six mois supplémentaires ». C’est à ce moment qu’un ami, chef sommelier à Hong-Kong l’appelle.
Les postes de sous-chef et de sommelier viennent de se libérer au Caprice, restaurant étoilé de l’hôtel Four Seasons, pour lequel il travaille. Le couple, devenu globe-trotteur se laisse tenter. « C’était fin 2017, l’adresse cherchait à gagner sa troisième étoile. Sur place, si j’ai débuté en cuisine, la situation a vite évolué, avec le départ de Nicolas Lambert, meilleur chef pâtissier de Hong Kong et d’Asie. Le chef Guillaume Galliot m’a alors proposé de le remplacer, m’affirmant que j’étais prêt pour relever ce défi ».
Résultat : en 2018, il décroche le titre de meilleur chef pâtissier de Hong Kong et de Macao et le restaurant sa troisième étoiles un an plus tard. Alors que le binôme surfe sur le succès à l’autre bout du monde, un coup de fil va une nouvelle fois bousculer leur ligne de vie gourmande. À l’autre bout du combiné, une voix bien connue celle de Pierre Basso Moro, le chef du Château de Germigney, du temps où lui-même était chef pâtissier et Noémie sommelière.
Le Franc-comtois l’informe que Jocelyn Gelé vient d’acquérir l’ancien office de Tourisme de Besançon situé au cœur du parc Micaud, un bâtiment iconique, tout de verre et d’aluminium, réalisé par l’architecte Michel Demenge en 1969, classé au patrimoine architectural du XXe siècle et qu’il compte en faire un restaurant gastronomique. Ajoutant que dans un souci de filiation qui anime les équipes du Château de Germigney, ils ont pensé à eux pour relever ce défi.
Le deal : apporter leur vision de la cuisine et leur expertise professionnelle à ce lieu en devenir baptisé sobrement : Le Parc. « Même si nous nous sentions très bien en Asie, nous avions toujours imaginé reprendre un jour la route de notre terre natale. Et même si le timing n’était pas celui que nous avions envisagé, nous ne pouvions désâment pas dire non à un tel projet ».
À leur arrivée, ils rencontrent les designers d’Ibride à Fontain, dans le Doubs, chargés de la décoration et leur adhésion à l’aventure monte d’un cran. « Envolée d’oiseaux stylisés en laiton poli au plafond ; jeux de matières, de textures et de reflets donnant la sensation d’être à la fois dehors et dedans ; comptoir habillé de 350 pavés de verres de La Rochère, en écho au Doubs qui coule juste à côté ; meuble bas séparateur prolongé en hauteur d’une étonnante carte de Besançon en bois noir et en relief ; mur de marbre venue de Grèce de 13 mètres de long sur 2,5 mètres de haut, vieux de 340 millions d’années ; casseroles inox haut de gamme de chez Cristel à Fesches-le-Châtel dans le
Doubs... on a vu de suite à quel point cela pouvait être quelque chose de magnifique. D’autant que nous avons eu notre mot à dire sur tout et à chaque étape ». L’ouverture est prévue pour mai 2020 mais le premier confinement lié à la Covid-19 conduit les équipes a reporté au 20 juillet. « Nous avons profité de ce “temps libre” pour repartir à la rencontre de nos producteurs locaux pour travailler avec eux sur la carte, l’adapter davantage aux disponibilités du moment ». Quand Le Parc accueille enfin ses premiers convives il affiche de suite complet et sur plusieurs mois à l’avance.
« J’ai construit mon management en puisant dans ma propre expérience. Je donne ainsi à chacun la possibilité de toucher à tous les postes, cela renforce l’esprit d’équipe. »
Côté organisation, Vivien s’affaire en cuisine et aux desserts, Noémie gère la salle et la sommellerie. L’équipe - majoritairement féminine, ce qui est plutôt rare dans la profession - compte 21 personnes en salle et en cuisine. Elle est à l’image des maîtres des lieux : polyvalente et atypique.
« J’ai construit mon management en puisant dans ma propre expérience. Je donne ainsi à chacun la possibilité de toucher à tous les postes. Cela permet à la fois de renforcer l’esprit d’équipe par une meilleure connaissance des contraintes des uns et des autres, et de limiter au maximum les risques de blocage en cas d’absence d’un membre du groupe, explique Vivien Sonzogni, tout en ne tarissant pas d’éloges sur ses collaborateurs.
« J’ai des personnes motivées, riches de parcours hors normes, à l’image d’Anne Holmes, une ancienne journaliste franco-américaine qui s’est récemment reconvertie dans la cuisine en suivant le cursus de l’antenne bisontine de Cuisine Mode d’Emploi(s), l’école de la seconde chance créée par le chef Thierry Marx. Nous avons également Louise Begrand qui a remporté en février la finale régionale du Championnat de France des desserts... ».
Au menu, une cuisine moderne et contemporaine, ode à la saisonnalité et aux produits locaux, rehaussée de saveurs asiatiques. Une carte composée de trois entrées, trois plats et trois desserts et un menu du jour qui change toutes les deux semaines. Enfin, un menu dégustation, véritable carte blanche laissée au chef, basée sur les propositions du moment des producteurs, permet à Vivien de repousser les limites et de tester des recettes qui trouveront peut-être une place plus pérenne à la carte.
« Pour la future carte justement, nous allons impliquer l’ensemble de l’équipe, tirer parti de l’expérience de tous. L’objectif ultime, c’est de décrocher une étoile Michelin. Cela apporte une vraie légitimité, tout en permettant d’aller encore plus loin dans l’audace ! ».