Entre sa péniche parisienne et sa maison à l’ombre de Bibracte, il y a trois choses que Xavier Jaillard n’oublie jamais : les amis, le sourire et le bon vin. Car c’est un homme qui aime la vie ; et ce n’est que justice. Fils de Lucien, directeur d’école à Paris, il « débarque » la même nuit que les GI sur les plages de Normandie.
Il ne verra Paris que 11 mois plus tard, sa mère Slava, universitaire juive-polonaise, étant cachée dans la Nièvre : « Ma première image c’est l’eau sous le pont de la Concorde et le feu d’artifice le 8 mai 1945 ». L’armistice signé, Lucien est envoyé rouvrir le lycée Français de Québec.
Là-bas, il devient directeur de la culture sur Radio Canada, la même radio où en 1948, le petit Xavier fait ses premiers pas : « Mon père me faisait lire des Fables de la Fontaine. Il parait que j’ai piqué une colère en disant « je veux pas m’en aller, on m’aurait fait bravo ». Ma mère était effondrée et s’est dit qu’elle avait un gamin égocentrique ».
« La mort. Je n’en n’ai pas peur, j’ai été mort si longtemps avant de naître. »
De retour en 1950 dans la Nièvre, Lucien cherche une école : « Nous sommes allés un dimanche à Vézelay. Un curé de la paroisse l’a emmené à la Pierre qui Vire où l’on célébrait la nomination d’un abbé qui, cette nuit-là avait rêvé qu’un homme viendrait pour ouvrir une école. Il lui a donné l’école Saint-Bernard ». De ces 7 années à Vézelay, Xavier Jaillard garde le souvenir « d’un petit village de campagne avec 200 habitants » mais surtout la découverte des émissions des chansonniers : « Le club des chansonniers, le grenier de Montmartre. C’est à 7 ans que j’ai écrit mes premiers sketches ». En 1957 : retour à Paris, et c’est à Montmartre que Lucien créé le cours privé Jaillard : « J’ai été élève de mon père. Mes parents ont fait de moi un précoce. (il obtient ses deux BAC à 14 ans). Et j’ai fini par être enseignant puis directeur de cette école ».
Les années Barclay et Francis Blanche
Ce sont des textes d’adolescence qui vont lui ouvrir les portes de la musique. Chez Barclay comme parolier, il rencontre un certain Francis Blanche. Les deux hommes s’associent pour créer les studios DRL, qui se transforment rapidement en cabaret, puis un restaurant ouvre à la cave. Le Roi Lyre est né ! : « J’ai monté mon premier spectacle avec Mary Marquet (1895-1979) et c’est là que Francis Blanche m’a dit : tu joues. Je n’ai jamais pris de cours d’art dramatiques.
J’ai tout appris avec lui. C’est la meilleure école ». Le lieu devient un incontournable des nuits parisiennes où se succèdent les grands noms : Jean amadou, Marie-Paule Belle qui y fait ses débuts, les Frères Ennemis, Robert Rocca… En 1973, enseignant le jour et directeur de théâtre la nuit, il revend le cours Jaillard dont il a pris la direction après la mort de Lucien en 1970. L’aventure du Roi Lyre dure 7 ans, jusqu’à un jour de juin 1974 : « L’hôpital du Bocage à Dijon m’appelle.
Francis était là-bas pour tourner une fiction. C’était un grand diabétique et les traitements lui faisaient perdre la mémoire. La vielle, après un coup de déprime, il s’était offert au Chapeau rouge, tout ce qu’il n’avait pas le droit de manger. Il est rentré à Paris où il est mort quelques jours plus tard. C’était un départ élégant ». Francis Blanche parti, le Roi Lyre périclite : « Ceux qui venaient gratuitement pour lui voulaient être payés, je ne pouvais pas tenir » et ferme définitivement en 1978 : « J’ai fait une grosse dépression. Je me suis demandé ce que j’allais faire de ma carcasse ».
De la rue aux Molière
À la fermeture, il vit tantôt dans un bus devant le Panthéon où il accueille l’avocate Christiane Giletti en cavale après avoir fourni une arme à Jacques Mesrine, et devient journaliste. Il créé une société de production audiovisuelle, mais remonte surtout sur les planches.
Durant 12 ans il enchaîne grandes salles et tournées, interprète pendant 3 ans Monsieur Jourdain dans Le Bourgeois Gentilhomme avant de confier le rôle à Michel Galabru : « J’ai toujours eu une tête de père, ce qui m’a permis d’avoir les premiers rôles ».
C’est en 2008 que vient enfin la consécration avec son adaptation de La vie devant soi de Romain Gary qui lui offre un Molière de la meilleure adaptation. À la suite de ce succès, il rachète le théâtre du Petit Herbetot où il co-réalisera 21 pièces.
Éternel créateur
Aujourd’hui chancelier de l’Académie Alphonse Allais, Xavier Jaillard continue de créer : Prix Jules-Renard et René-de-Obaldia, pièces de théâtres, romans et en cours, un projet avec son ami cinéaste Claude Lelouch : « Je n’ai jamais été tourné vers le passé, c’est ce qui me permet de m’intéresser à tout ». À 78 ans, il cite volontiers son ami de Obaldia citant lui-même Cocteau : « La mort. Je n’en n’ai pas peur, j’ai été mort si longtemps avant de naître ».