Il est bien des enfances solitaires, terreau de fertiles imaginaires. A l’inverse, celle de Yannick Marco pourrait être qualifiée de collective, riche de l’agrégation d’une multitudes de fragments identitaires. Yannick grandit à la campagne, dans un petit village près de Narbonne. Son père, contrôleur de train, est arrivé en France pour fuir le franquisme. Quant à sa mère, c’est le régime de Mussolini qui explique sa présence dans l’hexagone. « Avec un tel passé familial, mon enfance a été très marquée autant par des grèves sociales que par des voyages humanitaires », se rappelle Yannick Marco. La famille possède un centre aéré : « j’ai ainsi grandi en permanence avec une dizaine d’enfants. » Le site sert notamment de base arrière à la préparation de missions solidaires vers des pays en conflit.
« Tout a commencé avec ce reportage à la télévision sur les Hongrois qui fuyaient leur pays après la chute du mur de Berlin, la fin du rideau de fer et l’éclatement du bloc communiste. Mes parents décident de prendre deux filles au pair pour s’occuper de mes frères et moi. J’avais cinq, six ans. L’agence contactée commet une erreur et envoie une dizaine de jeunes hongroises à notre adresse : elles sont aujourd’hui encore toutes mes soeurs de coeur. Loin de se démonter, mon père et ma mère choisissent de relever le défi, embringuant alors tout le village dans l’aventure. Ils décident d’en faire plus, et affrètent un premier bus de 30 places rempli de fringues et de nourriture... De nombreux autres suivront ensuite en direction des principaux camps de réfugiés de l’époque : Hongrie, Yougoslavie, Pologne... Nos vacances étaient faites de visites d’orphelinats, d’asiles de fous aux quatre coins de l’Europe. »
« Je suis toujours à la recherche de l’inspiration, d’une solution et de nouveaux concepts... »
Enfant sans frontière, cabossé par le réel, Yannick s’intègre difficilement à l’école. Si les résultats restent bons, son décalage avec le quotidien de ses camarades lui vaut d’être régulièrement harcelé. Incompris, il trouve un exutoire dans la pratique de la trompette, véritable institution dans le Sud-Ouest. « J’ai intégré l’école de musique municipale et j’ai fait la rencontre d’un professeur extraordinaire. Viticulteur et mélomane averti, il a formé toute une génération d’enfants passionnés, devenus pour certains de grands musiciens qui ont intégrés les orchestres de Montpellier et de Toulouse », raconte Yannick Marco. Côté étude, il s’engage dans un baccalauréat technique en environnement. « Mon objectif était d’acquérir du savoir plus que d’obtenir un métier. Mais, plus j’avançais dans mes études, plus je me rendais compte que j’allais finir enfermé dans un bureau... », confite-t-il.
Cet avenir parfaitement dissonant de ses rêves d’enfants, où il se voyait vivre dans une cabane à la Tom Sawyer, Yannick Marco le refuse. A 16 ans, il prend la décision de devenir musicien professionnel et entre au conservatoire. Quatre ans plus tard, il créé avec des amis le groupe Goulamas’K et participe au rassemblement du Larzac porté par José Bové en 2008 avec, côté scène, Manu Chao. « L’idée du groupe est née d’un défi à l’heure de l’apéro. Nous étions en pleine mouvance des musiques alternatives et nous voulions chanter un autre monde possible. L’esprit était très à gauche, le style : du punk énervé. Pour moi qui étais quelqu’un de tout doux, je me retrouvais à faire des bonds à hurler la colère de gens qui n’en pouvaient plus… il y avait là quelque chose d’émancipateur... Nous chantions en espagnol, en catalan, en occitan et en français. Nous avons débuté en jouant juchés sur des palettes et nous avons fini au Zénith, avec Trio, Cali et les Shaka Ponk ! ».
Accident de cornemuse et changement de vie
Côté instruments, Yannick Marco est boulimique : il touche à tout, clarinette, saxophone, hautbois et même cornemuse. Cette dernière l’amène à s’intéresser au collectage, une pratique qui vise à la sauvegarde des traditions et coutumes d’une région. « La musique traditionnelle est essentiellement le fruit d’une transmission orale, les mélodies sont apprises d’oreille, ou par mimétisme des doigts. Avec le collectage, nous partons à la rencontre des anciens pour enregistrer ses mélodies du passé. Nous consignons également les méthodes ancestrales de fabrication et de réparation d’instrument parfois en voie de disparition… C’est ainsi que j’ai fait la connaissance du dernier joueur de Cornemeuse Bodega, la plus grosse des cornemuses occitanes, dont la peau provient d’une chèvre entière. Il avait avec lui un répertoire qui datait de 1850. » Cette richesse culturelle, Yannick Marco la partage avec son groupe dans d’improbables mixes entre guitares électriques et instruments traditionnels.
Sa vie suit cette portée sans fausses notes jusqu’en 2020 quand il perce la poche de sa cornemuse. « Je n’avais pas les moyens de m’acheter une peau neuve mais j’avais du cuir et les bons contacts. Quelques coups de téléphone et plusieurs rustines maison plus tard, je me suis lancé dans le travail du cuir. J’ai acheté pour 20 euros une peau de vache de la taille d’une Clio et malgré quelques premiers rendus comiques, petit à petit, j’ai finalement trouvé des solutions aux principaux obstacles rencontrés ». Le musicien qui a alors troué l’amour à Besançon s’installe dans la cité comtoise à l’heure où le confinement Covid-19 frappe aux portes. « Cette pause dans les tournées m’a permis de faire le point sur ma vie et sur le monde du spectacle. Le milieu de la musique a beaucoup changé depuis mes débuts et je ne me reconnaissais pas dans la surprofessionnalisation des uns et le stéréotype de l’artiste qui demande qu’on lui serve dans sa loge que des M&M’s bleu… J’ai repensé à mon expérience du cuir, mon attirance pour l’authenticité des gestes, le bruit de la lame qui découpe une peau et le calme de l’atelier… »
Allier ses deux passions
Après une formation auprès d’un ami de son père, sellier compagnon de France à la retraite, il lance sa propre société artisanale de maroquinerie : Pousse Lune. « Il m’a appris énormément et m’a confié un lot de cuir stocké dans une palombière du Béarn depuis des années. J’ai pu alors fabriquer mes premières sacoches de festoch et sangles de guitare pour les copains. Pousse Lune est une référence au couteau demie-lune utilisé pour le travail du cuir mais c’est aussi une manière pour moi de continuer à créer et à innover comme je l’ai fait en tant que musicien pendant des années : j’ai déjà vécu un rêve, pourquoi pas deux ? » Yannick Marco garde toutefois un pied dans le milieu musical et culturel comme intermittent du spectacle et s’investit dans la vie associative locale. Cet été, il a allié ses deux passions en mettant son savoir-faire au service du festival. Il a notamment crée des portes-clés à l’effigie de la marque de territoire Besançon Boosteur de Bonheur.
« Je suis toujours à la recherche de l’inspiration, d’une solution et de nouveaux concepts (j’aimerais par exemple, trouver un coutelier d’art avec qui monter une gamme d’étuis et couteaux. Je réfléchi également à la création de goodies locaux pour des évènements ou de la communication d’entreprise) mais aussi d’une forme de simplicité car j’aime faire “des choses simples pour des gens simples”, sans chichi et sans prétention mal placée… c’est pourquoi j’ai pris le parti de proposer une triple tarification pour mes produits : un prix de base qui me permet de vivre décemment de mon travail, un prix solidaire qui offre une réduction aux plus modestes et un prix de soutien plus élevé et qui vient équilibrer le prix solidaire d’une autre personne ».