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TOURISME & TECH : le nécessaire équilibre

Numérique. Réalité virtuelle, augmentée, expériences immersives, IA… depuis quelques années, le secteur du tourisme et de la médiation culturelle se réinvente à grand renfort de technologies numériques avec comme promesse une expérience client toujours plus personnalisée, enrichissante et accessible.

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La réalité virtuelle fait partie des outils déployés par la Citadelle de Besançon. Ici une expérience VR multijoueurs. (Crédit : Citadelle de Besançon.)

Réalité virtuelle, augmentée, expériences immersives, IA… depuis quelques années, le secteur du tourisme et de la médiation culturelle se réinvente à grand renfort de technologies numériques avec comme promesse une expérience client toujours plus personnalisée, enrichissante et accessible. Le secteur muséal vit ainsi une transformation profonde. Depuis la pandémie, les institutions culturelles ont massivement adopté des outils numériques pour maintenir le lien avec leurs publics. Mais cette révolution technologique pose une question fondamentale : comment concilier innovation et préservation de l’expérience humaine authentique ? Pour Ciprian Melian, dirigeant de la société bisontine Livdeo, spécialisée dans la conception de solutions numériques inclusives pour les musées, les galeries, le tourisme et le patrimoine, la réponse réside dans l’équilibre.

La société bisontine Livdeo a développé des “personas” d’artistes via l’IA avec lesquels l’utilisateurs peut interagir. (Crédit : Livdeo.)
(Crédits : LIVDEO)

Son entreprise, présente dans cinq pays depuis plus de dix ans, a développé une approche singulière de la médiation culturelle numérique. Plutôt que de remplacer l’humain, ses solutions visent à l’augmenter, à faciliter son travail tout en enrichissant l’expérience du visiteur. La plateforme GEED illustre notamment cette philosophie. Exit les audioguides traditionnels nécessitant files d’attente et manipulations complexes. Place au smartphone personnel du visiteur, déjà configuré selon ses préférences d’accessibilité. « Avec ce concept “apporte ton téléphone” qui ne nécessite ni téléchargement d’application ni consommation de données, le système détecte automatiquement la langue, active la synthèse vocale pour les malvoyants et adapte les contrastes. Une révolution silencieuse qui libère les équipes d’accueil pour des tâches à plus forte valeur ajoutée ».

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C’est le nombre de visiteurs de la Citadelle de Besançon en 2024. Le site a gagné 10.934 visiteurs par rapport à 2023. Par ailleurs, la Citadelle de Besançon représentera la région Bourgogne Franche-Comté dans l’émission « le Monument préféré des Français 2025 »

Cette technologie offre également un gain financier aux établissements touristiques, comme le souligne Gaëlle Cavalli, docteure en histoire, spécialité archéologie, et responsable du service valorisation des monuments Vauban à la Citadelle de Besançon : « l’utilisation des casques 3D, comme dans notre activité “la chambrée du soldat” qui permet d’explorer à 360 degrés depuis 2021 la pièce de vie d’un soldat et d’un officier à l’époque de Louis XIV, d’en fouiller les meubles et les moindres recoins, nécessite beaucoup de maintenance, sans compter que la technologie évolue vite, induisant de lourds investissements à l’achat comme en fonctionnement ».

L’IA au service des équipes de médiation

Le site bisontin a également opté pour la réalité virtuelle. La société Capture4cad, de la commune de Saône (25), a numérisé l’intégralité du site « ce qui nous a permis de modéliser et de proposer à voir aux visiteurs, via la mise en place de bornes tactiles, dans le cadre de l’exposition “Citadelle : 350 ans de souvenirs”, le monument sur trois périodes historiques différentes : l’ère espagnole, celle de Vauban et le 19e siècle », appuie Gaëlle Cavalli. Deux objets historiques conservés sous vitrine, la cantine de Vauban dont il ne reste plus que trois artefacts de ce genre dans le monde et le canon doré offert par la ville de Besançon à Vauban après sa victoire lors du siège de la cité, ont également été rendus manipulables par la magie du virtuel. « De plus, des QR Codes présents sur différents bâtiments permettent de visualiser par exemple l’ancienne forge, l’écurie du gouverneur, le moulin restauré en fonctionnement avec ses chevaux ou le souterrain qui mène à un magasin à poudre ». L’innovation la plus audacieuse proposée par Livdeo reste FeelTheArt. Cette plateforme de réalité augmentée persistante transforme n’importe quel espace en galerie virtuelle, superposée au monde réel.

(Crédit : Citadelle de Besançon.)

Avec un demi-million d’oeuvres issues de 6.000 musées mondiaux et représentant 30.000 artistes, elle abolit les distances géographiques et socioéconomiques. Des agents conversationnels couplés à l’analyse en temps réel de la caméra du smartphone permettent également de déclencher des éléments narratifs en lien direct avec l’environnement de l’utilisateur. « Un enfant du Bronx peut désormais contempler les chefs-d’oeuvre du Louvre depuis son quartier. Une classe rurale découvre l’impressionnisme sans quitter son école. Ainsi, si vous ne pouvez pas aller vers l’art, c’est l’art qui vient vers vous », résume Ciprian Melian, qui travaille également sur l’intelligence artificielle. « Elle permet aux équipes de médiation de générer des narrations émotionnelles adaptées à chaque type de public, de traduire automatiquement des contenus de la scénographie en respectant les nuances culturelles, d’analyser les oeuvres pour en extraire l’implicite : autant d’éléments clés pour maintenir l’attention et l’intérêt. Les gains de productivité sont spectaculaires : là où il fallait 1.000 heures pour traiter 1.000 oeuvres, 10 suffisent désormais », affirme Ciprian Melian, qui évoque également la création de plus de 200 “personas” d’artistes avec lesquels les utilisateurs peuvent interagir par texte et par voix. Une technologie également présente à la Citadelle de Besançon avec le développement pour l’ensemble des sites du réseau Vauban « d’un magnet à l’effigie du personnage, vendu en boutique, auquel il est possible de poser 100 questions : le nombre de ses maîtresses, ses campagnes les plus dures… », détaille Gaëlle Cavalli.

Une affaire de dosage

(Crédit : Citadelle de Besançon.)

Si ce renfort numérique est jugé incontournable, il ne saurait toutefois se substituer totalement à l’interaction humaine et à l’observation du monde réel. Pour Ciprian Melian : « la technologie doit rester un complément, jamais un substitut à l’expérience sensorielle directe de l’art. Il ne faut surtout pas se dire que le numérique est magique. Il ne doit pas remplacer le travail nécessaire réalisé par des éducateurs, des médiateurs, des guides avec du vrai papier, du vrai crayon, du vrai toucher, de la vraie expérience humaine. Le numérique doit être vu comme un système qui complète à la marge l’expérience muséale, plutôt que comme un élément central. Il a par exemple toute sa pertinence dans les phases de préparation et de suivi d’une visite ». Gaëlle Cavalli ne dit pas autre chose en évoquant la richesse des visites avec des comédiens revêtus des habits de l’époque proposés par la Citadelle. « Il est également primordial de bien doser l’apport du numérique, d’être dans le ponctuel pour conserver l’effet waouh. Enfin, il paraît important de rassurer les parents sur l’utilisation du numérique dans les musées à l’heure où la déconnexion est encouragée par le gouvernement. L’idée est de proposer une expérience qui allie le meilleur des deux mondes : l’interaction humaine et les apports du numérique, utilisés avec parcimonie ». « Au-delà des prouesses techniques, c’est bien la capacité à préserver l’émotion humaine face à l’oeuvre qui déterminera le succès de ces nouvelles approches muséales », conclut Ciprian Melian.