Humeur

À Villers-Cotterêts, le français tire la langue...

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Emmanuelle de Jesus.

Peut-être connaissez-vous cette chanson d’Yves Duteuil, « la langue de chez nous » ? Elle professe pour la langue française un amour immodéré et souligne les ponts qu’elle a tracés entre les continents, s’enjolivant à chaque étape de mots, d’expressions et d’idiomes nouveaux.

Car la langue française que d’aucuns voudraient figée à jamais dans la naphtaline de l’Histoire est une bâtarde, née des amours tumultueuses de tribus éduennes avec les envahisseurs, des mariages royaux entre grandes familles, des unions paysannes nées dans les foires.

Elle s’est encanaillée dans les maisons de tolérance, enrichie dans les bâteaux et les caravanes des marchands, enluminée sous la plume des scribes et s’est tachée d’encre avec l’arrivée de l’imprimerie. Pour des générations d’immigrés, le français était la promesse d’une nouvelle vie, une carte d’identité au même titre qu’un document officiel.

Par amour du français, notre rédaction échange longuement sur le choix d’un adverbe, s’amuse d’un jeu de mots mais se détourne avec un bel ensemble de certaines règles de l’écriture inclusive, refusant par exemple cher.ère.s lecteur.ice.s l’usage du point médian (illisible, n’est-ce pas ?).

Cette langue virevoltante vient de trouver asile au château de Villers-Cotterêts où depuis le 1er novembre, a ouvert la Cité internationale de la langue française. Tout un symbole ! C’est en effet au château-royal de Villers-Cotterêts que le roi François 1er signa en août 1539, son « ordonnance générale sur le fait de la justice » dont les articles 110 et 111 imposent le français dans tous les actes à portée juridique de l’administration et de la justice du royaume : « Nous voulons d’oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, […] soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel françois et non autrement », écrit ainsi celui qu’on surnomma « le restaurateur des Lettres »... et qui ne reconnaîtrait sûrement pas dans le français d’aujourd’hui, le « françois » de jadis.

Car la langue française, comme Gargantua dans son berçeau, envoie valser les langes qui tentent de l’emmailloter, et depuis les premiers poèmes jusqu’au rap d’aujourd’hui n’a jamais cesser d’exploser ses limites. Elle est politique, militante, lâche ou héroïque selon qui en use ; mais si elle se laisse employer, jamais elle ne se laisse mettre un joug, comme le loup famélique de La Fontaine qui fuit à toutes pattes en voyant, sur le cou du chien bien gras, la morsure du collier...

Alors que notre planète vacille et tangue sous les conflits, réjouissons-nous qu’un pays donne droit de cité à sa langue, en lui reconnaissant avant tout sa nature protéiforme et lui offrant ce joli nom de « langue-monde ». Puisse un jour que les seules batailles qui se jouent entre les hommes soient des batailles stylistiques et l’usage du point médian la seule pomme de discorde entre les esprits échauffés...