C’est peu dire que l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale dimanche 9 juin par le Président de la République, dans la foulée des résultats du scrutin européen en France, a fait l’effet d’une bombe. Une de ces bombes vicieuses qui à l’impact libèrent des milliers de projectiles mortels, dont on ne mesure réellement les dégâts qu’au moment de ramasser les cadavres. Première touchée, la majorité présidentielle, qui n’a pas plus de majorité que de Président, la première éparpillée façon puzzle, le second ayant décroché un taux de détestation rarement atteint dans ce pays. (Dégât collatéral : les commentateurs politiques, ces hommes et ces femmes que l’on croirait d’une race à part, jetant sur leurs confrères journalistes et le grand public le regard suffisant de celui « qui sait ». Pas un de ces Grands Sachem n’avait émis l’hypothèse de la dissolution, ce qui, à ce niveau, relève de l’incompétence crasse...)
Juste derrière, la gauche. Raphaël Glucksmann avait à peine réalisé son inespérée médaille de bronze, à peine fini de dire tout le mal qu’il pense de LFI que paf ! Tout ce beau monde, les Verts, les Rouge cramoisis et les Roses ont dû se rabibocher en quatrième vitesse, pour créer un Front Populaire 2.0, se répartir les circonscriptions et faire semblant de ne pas voir l’éléphant au milieu de la pièce à savoir Jean-Luc Mélenchon, monsieur « Ma Personne est Sacrée », celui que ses prises de position révoltantes après l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre ont transformé en épouvantail pour bien des électeurs. Le programme ? Bof, on verra plus tard. L’important c’est de se mettre d’accord sur le nom du prochain locataire de Matignon, de préférence pas trop clivant, mais pas trop Macron compatible quand même...
Pas mieux servi, le camp d’en face. Sonnée par la gifle reçue au soir de l’élection (7,2%, derrière LFI), la droite « républicaine » prend un coup en traître le 11 juin quand son chef de meute, Éric Ciotti, annonce son ralliement au RN. Branle-bas de combat chez les cadors de la droite qui dénoncent une aventure personnelle, réunion en urgence pour l’exclure, Ciotti qui se barricade dans son bureau et fait appel. Ouf. La droite est en lambeaux, mais au moins elle a les mains propres, personne ne viendra l’accuser d’être un peu facho sur les bords. Aïe. Jeudi 13 juin, François-Xavier Bellamy confirme sur Europe 1 que « bien sûr », il votera RN si au deuxième tour, il n’avait que le choix entre un candidat de l’extrême-droite ou le front de gauche...
Enfin, dernière victime mais non la moindre, l’électeur. Vous, moi, les petits jeunes qui votent pour la première fois, les vieux briscards, les écolos qui y croyaient mais n’y croient plus du tout, les ouvriers et les Gilets Jaunes, cette France méprisée qui a décidé de confier la solution de son désespoir au Rassemblement national, parce que tout mettre sur le dos de l’étranger c’est plus facile pour les méninges que l’analyse macroéconomique... Face à ces manigances, ces tractations, ce petit jeu malsain d’alliances aux forceps, de mariages forcés et de passages en force, face à l’allégresse du RN et au chantage de LFI, au bal tragique des extrêmes, sur quel pied va-t-il danser, l’électeur ? La décision du Président Macron, dictée par on ne sait quel orgueil, par on ne sait quel calcul hasardeux n’a pas seulement tué les partis traditionnels, révélé crûment les bassesses et les compromissions auxquelles certains sont prêts à se soumettre pour conserver leur siège de député. Il a aussi et c’est très grave, durablement bafoué et sali tous les espoirs que certains, dont je suis, plaçaient encore dans la politique lorsque celle-ci n’est pas une collection de privilèges mais bien le noble exercice du gouvernement de la Cité. Et achevé de discréditer la fonction suprême, puisqu’au moment de prendre ses responsabilités face à la colère, il a préféré quitter la scène et rejeter sur « le peuple souverain » la faute du chaos qui va advenir.