Humeur

Chronique d’une maire annoncée

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Emmanuelle de Jesus.

L’élection lundi 25 novembre dernier de Nathalie Koenders à la tête de la mairie de Dijon apparaît, pour beaucoup, comme une excellente nouvelle sur le plan de l’égalité des genres en politique. Et nombreux se sont réjouis que, pour la première fois de sa longue histoire, la capitale bourguignonne soit enfin dirigée par une femme. Voyons le bon côté des choses : lorsqu’il s’agira pour Dijon d’être présent au travers des grands évènements, des salons nationaux ou internationaux, quand un ministre ou un autre fera un détour par la capitale bourguignonne, c’est Nathalie Koenders, et personne d’autre, qui sera l’incarnation de la ville. Et c’est elle qui mènera les débats d’orientation budgétaire, car un programme c’est bien beau, mais sans argent dans les caisses et sans budget bien ficelé, on n’avance pas beaucoup, demandez donc à Michel Barnier. C’est donc bien elle, et personne d’autre, qui sera responsable du Dijon dans les mois à venir. Voilà pour le verre de Domaine de la Cras à moitié plein.

Le revers de l’assiette de gougères, ce que n’a pas manqué de pointer l’opposition municipale, ce sont les conditions de son élection. Acte 1, François Rebsamen, qui a d’autres ambitions, laisse son siège et annonce dans la foulée que c’est à Nathalie Koenders, et à personne d’autre, qu’il transmet le flambeau. « Si le conseil municipal en décide ainsi (bah oui, quand même), elle deviendra la première femme maire de Dijon et poursuivra la métamorphose de notre ville, en assurant la continuité de l’action en cours tout en apportant sa propre vision et sa sensibilité. » Passons sur la mention de la sensibilité, sans doute toute « féminine » - entre nous, je doute fort que François Rebsamen aurait évoqué la « sensibilité » d’un successeur du genre masculin... Acte 2, le vote. Une candidature de l’opposition à peine audible, une allocution de François Rebsamen longuement ovationnée, un dépouillement sans surprise et enfin !, on a pu entendre la voix de Nathalie Koenders, rendant hommage à celui qui restera son mentor avant de tracer quelques repères de sa propre feuille de route. L’opposition, jusque-là aphone, a pu sortir les banderilles du procès en illégitimité, parlant même d’une maire « sous contrôle et sous tutelle », ce qui est tout de même d’une certaine violence. Là encore, je m’interroge. Les attaques auraient-elles été du même acabit si le dauphin de François Rebsamen avait été un homme ?

Cette séquence aura au moins le mérite de se réinterroger sur la place des femmes en politique. Nathalie Koenders aurait-elle ceint l’écharpe tricolore si un homme ne lui avait jalonné le chemin ? François Rebsamen décidant de quitter son siège, n’était-il pas de son devoir d’élu responsable de choisir et former parmi ses proches celui (ou celle) jugé.e par lui le (la) plus capé.e pour lui succéder ? Pourquoi, lorsqu’une femme atteint un certain niveau de pouvoir, son sexe devient-il un problème ? C’est étrangement de Laurent Bourguignat, élu d’opposition, qu’est venue la plus belle conclusion : en saluant en Nathalie Koenders non pas la victoire du genre, mais celle du parcours et donc de la compétence, il a réorienté de manière saine le débat, tout en ouvrant la voie vers les élections municipales de 2026. Car il ne faut pas s’y tromper : c’est à ce moment, et à ce moment-là seulement, si elle est tête de liste et si elle gagne, que le débat sur la légitimité de Nathalie Koenders sera définitivement clos. C’est la beauté de notre démocratie que de parvenir à se défaire des oripeaux des préjugés, des calculs politiques et des discussions sur le genre pour permettre le rendez-vous entre un projet et un peuple, entre une personne qui incarne ce projet et ceux qui s’y reconnaissent ou l’espèrent. En attendant, je lève le verre à moitié plein et me réjouis de voir ce que madame la maire de Dijon réserve à la ville et aux Dijonnaises et Dijonnais dans les mois à venir.