Humeur

Échec et Matignon

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Emmanuelle de Jesus.

« La France ne peut pas être la France sans la grandeur », a écrit Charles de Gaulle dans ses Mémoires de Guerre. Oh si qu’elle peut mon Général, oh si. Il n’est qu’à voir les quelques semaines qui viennent de s’écouler depuis la (laborieuse) nomination de Michel Barnier, le type censé incarner une possibilité de consensus, venant elle-même après une dissolution voulue par Emmanuel Macron pour apporter de la clarification... Je veux bien que notre Président possède, de l’avis de ses extatiques soutiens de l’époque quinquennat I, une « pensée complexe », mais là même Dédale n’y retrouverait pas son chemin. Mais je m’égare. (Qu’est-ce que je disais ?)

Donc, replantons le décor. Michel Barnier, blanchi sous le harnais et auréolé de quelques succès diplomatiques non négligeables (dont la libération de nos confrères Christian Chesnot, Georges Malbrunot et Florence Aubenas), est appelé pour remettre un peu d’ordre dans cette chienlit qu’est devenue l’Assemblée nationale après les législatives anticipées - trois blocs irréconciliables qui se neutralisent à coup d’invectives. Au vu des évènements qui ont suivi, on peut légitimement conclure que la machine Barnier était un peu grippée. On retiendra surtout de ces piteuses semaines que l’ex-Premier ministre a dragué comme jamais le RN pour obtenir la non-censure de son gouvernement en cas d’un 49.3 quasiment inéluctable. (Et quand je dis draguer, je ne parle pas de flirt, mais plutôt de l’opération qui consiste à curer les égoûts pour en retirer les pires sanies.) Las ! Cela n’aura pas suffi. Et Michel Barnier a réitéré l’exploit de Pompidou en 1962 : la censure et donc la chute de son équipe gouvernementale. Avec une autre issue qu’en 1962, puisqu’ici, point n’est question de dissoudre l’Assemblée nationale avant juillet 2025 compte tenu du calendrier électoral... Emmanuel Macron (tout juste rentré d’Arabie Saoudite où le prince héritier n’hésite pas à faire exécuter ses opposants, ça lui évite bien des soucis), a eu le temps d’une bonne nuit à l’Élysée entre mercredi et jeudi 5 décembre pour se remettre du jet-lag, recevoir la démission de Michel Barnier après le petit-déjeuner et préparer son allocution en guise de pré-dîner à 20 h, au cours de laquelle il a renvoyé dos à dos les « extrêmes », redit que tout cet embrouillamini n’était en rien de son fait et qu’on ne compte pas sur lui pour démissionner avant la fin du mandat - chose qui, compte tenu du calendrier électoral, ne changerait de toute façon rien au blocage de l’Assemblée... Résultat des courses : le RN apparaît plus que jamais en faiseur de roi, LFI poursuit plus que jamais sa stratégie du chaos avec la figure de Jean-Luc Mélenchon en rédempteur. Question clarification au moins, voilà qui est calé, même si ce n’est guère rassurant...

Alors, vous voyez Général, que la France sans la grandeur, ça existe et c’est bien parti pour rester comme on dit en Franche-Comté. Et je me souviens de Coluche qui disait : « Savez-vous pourquoi les Français ont pris le coq pour emblème ? C’est parce que c’est le seul oiseau qui arrive à chanter les pieds dans la merde ». Vu la hauteur du fumier, il n’est pas près d’être détrôné, l’emblème. Et quel que soit le prochain Premier ministre, il l’entendra longuement chanter sous les fenêtres du 57, rue de Varennes. L’enfer de Matignon n’aura jamais si bien porté son nom...