À l’heure où j’écris ses lignes, la campagne électorale pour le deuxième tour des législatives anticipées est dans sa dernière ligne droite (sans jeu de mots, je n’ai pas tellement le coeur à rire) ; impossible donc d’être au diapason de ce qui tombera des urnes dimanche soir. En revanche, j’ai eu, comme nous tous, largement le temps de voir le mot « démocratie » brandi ces derniers jours jusqu’à l’obscénité. Par les vainqueurs du premier tour, auto-déclarés « champions du peuple » comme par les fiancés de l’entre-deux tours qui, au terme de désistements de circonstances, en sont devenus le « rempart ».
« Le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres », selon l’expression de Winston Churchill (notons une fois de plus que les hommes politiques de cette envergure avaient des lettres et de l’esprit), la démocratie moderne s’affirme comme l’expression non pas « du » peuple mais de la majorité des votants, ce qui introduit déjà une certaine nuance ; et sous-entend que les mécontents du résultat des urnes en acceptent néanmoins le verdict. (Un détail que Trump a fait semblant de ne pas prendre en compte lorsqu’il a perdu face à Joe Biden en novembre 2020, entraînant ses partisans à envahir le Capitole quelques semaines plus tard. Mais passons.)
La démocratie, rompant avec la verticalité du pouvoir des monarques de droit divin, offre au demos, le « peuple » des Grecs anciens, l’opportunité de choisir ses représentants qui de fait, endossent la responsabilité d’en être le porte-parole dans les rouages des institutions. Être élu par le peuple et pour le peuple, c’est servir et non pas se servir ; c’est un sacerdoce bien plus qu’un privilège. Mais dans cette campagne électorale délirante, qui a commencé dans l’irrationnel pour s’achever dans le chaos, où les contre-vérités s’enchaînent sans contradicteurs et les vociférations s’expriment sans retenue, le peuple, unité de base d’une civilisation, le peuple où est-il ?
Je ne vois là, dans cette colère et ce racisme sans fards des uns, dans les flatteries ignobles envers les communautés des autres, dans l’encouragement de certains médias à l’expression sans honte de la haine, dans ce mépris général, que les cris de la populace. Et de la démocratie, je ne vois plus que le reflet vicieux, celui que les Grecs (encore eux) nommaient ochlocratie, le pouvoir de la foule. « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde », écrivait Albert Camus en 1944. Commençons donc par déshabiller la démocratie des passions tristes dont certains, de droite comme de gauche l’affublent ; et nous aurons, peut-être, enlevé un peu du malheur de ce monde.