Humeur

L’avis rêvé de l’IA

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Emmanuelle de Jesus

Il y a trois semaines, dans un tribunal de l’Arizona, le clone numérique de Christopher Pelkey, tué par balles à 37 ans, s’est exprimé lors du procès de son meurtrier. Qwa ?!, seriez-vous tenté de réagir, un peu comme moi lorsque j’ai entendu cette audacieuse nouvelle dans le poste. Ben tout bêtement grâce à une IA (et l’accord de sa soeur). Et qu’a dit ce Christopher recréé ? Qu’il pardonnait à son meurtrier, en ajoutant : « C’est dommage que l’on se soit rencontré dans ces circonstances, dans une autre vie on aurait pu être amis ». Passons sur la niaiserie de cette déclaration, qui m’a fait furieusement pensé à une séquence archi-vue dans les mauvais films US, ce moment où le héros en deuil de Chérie est prêt à flancher quand une bonne âme (souvent son meilleur ami) lui glisse entre deux gorgées de bière. « Non, tu ne peux pas abandonner. Ce n’est pas ce qu’aurait voulu Chérie ».Là où j’aurais certainement mis une salve au bon Samaritain en lui hurlant : « Mais qu’est-ce que tu en sais, ce qu’aurait voulu Chérie ?! », le héros pleure dans sa mousse, reprend une gorgée et sa vie en main. Mais retour dans ce tribunal d’Arizona et dans la réalité (même si on commence à se demander où est planquée la caméra). J’imagine assez l’émotion dans la salle d’audience et les avocats du meurtrier qui ont dû manger l’intégralité du Code, des nuits entières à plancher sur les plaidoiries foutues en l’air grâce à quelques lignes de prompt... Et je me demande : qu’est-ce qui a bien pu motiver le juge qui a autorisé ce subterfuge, cette déclaration parfaitement fausse, comme recevable dans son tribunal ? « J’ai adoré cette IA », a-t-il déclaré avant de coller plus de dix ans de prison au meurtrier. Si la soeur de Christopher Pelkey a pu diffuser l’avatar de son frère au tribunal, c’est qu’aux États-Unis, des start-up se sont spécialisées dans la re-création de défunts, pour que la famille puisse continuer à parler avec eux après la mort. Je ne vais pas discuter le concept, chacun gère son deuil comme il peut, même avec une illusion. Là où cela me flanque la chair de poule, c’est de penser qu’ une IA puisse témoigner dans un procès. Quel est le mouvement d’après ? Une justice rendue par une IA, uniquement basée sur d’hypothétiques témoignages, recréés sur des souvenirs glanés ici et là par des proches qui pourront faire le tri comme ça les arrange ?À l’avenir, ce ne sont donc pas les avocats, les jurés, les juges ou les procureurs qui feront les procès, mais les ingénieurs et les faiseurs de prompts. Pas sûr que la justice va adorer.