Vendredi 16 octobre 2020. Samuel Paty, professeur d’histoire-géographie, est décapité peu après être sorti de son collège de Conflans-Sainte-Honorine. L’assassin est un citoyen russe d’origine tchétchène âgé de 18 ans, radicalisé. Vendredi 13 octobre 2023. Dominique Bernard succombe sous les coups de couteau d’un ancien élève devant le collège-lycée Gambetta où il enseigne le français. L’assassin est fiché S, radicalisé.
Samedi 21 octobre 2023. Un professeur d’histoire du lycée Claude Monet du Havre exprime son émotion devant ses élèves. Il se dit « en deuil » de ses collègues assassinés, mais aussi du dessinateur Cabu, assassiné lors de la tuerie à la rédaction de Charlie Hebdo. Pas de quoi ébranler certain jeunes qui bavardent. Excédé, le professeur aurait sorti - une enquête est en cours - un couteau plié de type Opinel et l’aurait brandi devant ses élèves en tenant des propos menaçants.
Prévenue, la direction interrompt le cours, reçoit l’enseignant et fait un signalement au Parquet du Havre. Selon son avocat, le professionnel de santé qui a reçu le professeur a indiqué que « l’enseignant était en grande souffrance psychologique en tant que professeur depuis un temps certain, avec des impacts sur sa santé physique ». Il vient d’être mis en arrêt longue maladie, pour un an.
Certes, rien n’excuse le comportement de ce professeur. En revanche, on peut s’interroger sur la longue descente aux enfers qui l’y ont conduit. Combien de ricanements, combien de bavardages et d’irrespect de la part de ses élèves durant ses années de pratique ? Combien d’angoisse, de stress et de nuits blanches depuis que les enseignants ont été pris pour cible par les islamistes radicalisés ? Combien de remises en question pour cet enseignant qui, comme bon nombre de ses collègues, a choisi son métier par vocation comme le laisse supposer cette phrase rapportée par ses élèves : « J’en ai marre de perdre mon temps, de faire mon boulot de prof, celui pour lequel on assassine ! »
Dans ce contexte bouleversant pour la communauté éducative, les paroles du recteur de l’académie de Dijon Pierre N’Gahane, notre portrait cette semaine, sont un rempart. Ce spécialiste de la radicalisation, qui fut préfet, garde intacte sa confiance dans les professeurs et les personnels de l’Éducation nationale pour résister, intacte sa confiance en l’école laïque et républicaine, car elle est, affirme-t-il, le creuset de la Nation.
Puissent les enseignants garder aussi intacte leur confiance, eux qui, depuis la fin du XIXe siècle, n’auront jamais cessé d’être comme l’écrivit Charles Péguy, « des hussards noirs », les hussards noirs de la République.