Humeur

L’Intouchable et Marine Le Pen

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Emmanuelle de Jesus

Imaginez une famille classique, au sens hétéronormée du terme, affublée d’un rejeton que, pour la compréhension de l’histoire, nous appellerons « Z » car il est de la Gen Z (et combien d’enfants de la Gen Z ont effectivement un prénom commençant par Z ? Mais on s’égare). Le père de Z possède une voiture. Cette voiture, il en a rêvé. Il en a bavé des ronds de chapeau, il en a économisé des petits plaisirs, il en a écumé des concessionnaires et des salons de collectionneurs. Mais bon voilà, elle est là. Pas la plus tape-à-l’oeil, pas la plus bankable, mais bon, ce modèle-là lui plaisait À LUI et voilà, c’est SA voiture. Imaginons maintenant le jeune Z. Lui, ce qui le fait kiffer, c’est une soirée. Pas n’importe quelle soirée : LA soirée de l’année, qui se passe au fin fond d’un bled dans la grange de la maison de famille d’un pote. Il en a passé des week-ends à aider ledit pote à vider ladite grange de son bazar, à balayer les toiles d’araignée et à imaginer, le soir venu, moulu et sentant la javel, ce truc ultime que ça va être. D’autant que Z est du genre populaire, des potes et des groupies à gogo, il sera là-bas comme un roi en son château… Alors voilà, on est vendredi. Demain soir, c’est la soirée, frère. Mais là, c’est vendredi et Z doit aller en cours. Or problème : sa voiture à lui, celle que ses parents lui ont payée après le bac, un truc passable mais qui roule, est quasiment à sec. Il ira au coin de la rue et encore. Il devait prendre de l’essence hier, oui, l’essence payée avec son argent perso qu’il gagne en faisant des petits jobs, mais bon, hier, il a eu la flemme. Prendre le bus ? Flemme. Marcher ? Flemme. Tant pis, il ira ce soir avec Môman après la fac. Heureusement, il reste la voiture du daron qui est parti au taf en bus, lui. LA voiture, l’Intouchable, oui. Mais bon, c’est juste une fois, hein... Évidemment, c’est pas sa faute à Z, mais voilà : au moment de quitter la fac, un moment d’inattention et il s’est pris un trottoir. On peut dire que l’Intouchable a pris cher, au niveau du bas de caisse et le prix du carrossier, il a encore la voix du daron dans la tête, il faudra en tondre des pelouses pour s’en approcher…

Je ne vous fais pas de dessin : hurlements du père, Z qui ne sait plus où se fourrer et tchac la punition : les clefs de la voiture de Z confisquées, tout majeur qu’il est. Et là Z réalise : s’il n’a pas de voiture, c’en est fini de la soirée ultime, celle qui se passe au fin fond du bled où même les bus ne passent pas. Ses potes sont déjà en route dans des voitures où on ne peut même plus caser un pack de six. Alors Z hurle. Il dit que c’est injuste. Qu’il est le mec populaire, que la fête sans lui ne sera pas la même, qu’il prépare ça depuis des semaines, mais Daron et Môman sont inflexibles. C’est non. Coucouche panier, papattes en rond. Personne de sensé ne contestera ici l’attitude des parents : t’as fait un truc interdit en étant parfaitement conscient de ce que tu fais, tu casses, tu payes, normal. Maintenant, remplacez Z par Marine Le Pen ; l’Intouchable par les caisses du Parlement européen ; et la fête ultime par l’élection présidentielle de 2027 où, elle aussi, elle est la plus populaire et que, sans elle, la fête sera moins folle. Et demandez-vous si, car apparemment, plus que la faute elle-même c’est cela qui fait débat, vous ne lui auriez pas, à elle aussi, confisqué les clefs…