« Et ça se passe comment ? Vous nous faites relire ? »... Cette phrase, nous, journalistes, ne cessons de l’entendre lorsque s’achève, souvent après un entretien tout à fait cordial, une rencontre avec les personnes grâce auxquelles nous consacrons un article. Et de manière tout aussi cordiale, mais systématique au sein de cette rédaction, nous refusons toute relecture avant publication. Nous comptons sur notre professionnalisme, notre sérieux, notre expérience parfois, pour assurer à notre interlocuteur que nous ne le trahirons pas. Accepter de parler à un journaliste, c’est accepter un contrat tacite : je lui confie ce que j’ai bien envie de lui confier et je lui fais confiance pour qu’il confectionne un article reflétant avec la plus grande honnêteté possible la teneur de notre conversation. (Fichtre ! Que de F !).
Alors oui, le (la) journaliste étant un être humain, il n’est pas à l’abri de la bourde - et nous la reconnaissons bien volontiers lorsqu’elle déboule. Magie des articles en ligne, nous pouvons même corriger une erreur qui ne sera, en aucun cas, une volonté de nuire, mais bien souvent le résultat d’une étourderie humaine... (et qu’on ne me parle pas d’IA, on fera ça une autre fois). Le rouge au front, j’avoue que pas plus tard que ce matin à l’heure où j’écris ces lignes, j’ai corrigé une, allons-y franco, connerie, que mon interlocutrice m’a gentiment signalée après avoir lu l’article qui lui était consacré sur le site du journal...
Elle a même eu la délicatesse d’appeler ça une « coquille », terme normalement réservé à l’erreur typographique que l’on trouve dans les canards, alors que là, franchement, c’était l’oeuf entier. Après ce mea culpa, croyez-vous que je vais me résoudre à faire valider (autre terme honni que l’on entend) mes écrits avant publication ? Non, mille fois non ! D’abord parce que statistiquement ce genre de chose arrive de manière infinitésimale. Et quand bien même me direz-vous, c’est pas drôle pour celui sur qui ça tombe... Certes. Mais quand même. Faire relire un article avant publication, c’est la négation même de notre métier.
C’est mettre sa carte de presse au fond de sa poche pour se transformer en communicant. Je n’ai rien contre les communicants, attention. Nous travaillons en bonne intelligence avec eux tous les jours. Et si ça se passe bien, c’est justement parce que la limite est claire entre notre métier et le leur. Et qu’ils sont d’ailleurs les premiers à expliquer à leurs clients que, non, ces derniers n’ont pas à exiger de relecture, ni de « valider » quoi que ce soit... Nous avons la chance, nous journalistes en France, de ne pas risquer nos vies à écrire ce que l’on veut en restant dans les limites de la loi et de notre charte de déontologie. Ce n’est pas le cas de nos confrères à Gaza, au Liban, en Afghanistan, au Yémen, en Russie...
Loin de moi l’idée de me comparer à ces journalistes que je place tout en haut de mon échelle de valeur professionnelle. Mais justement, pour leur rendre un tout petit peu hommage, je refuse de sacrifier la liberté d’expression consacrée notamment, par la Déclaration universelle des Droits de l’homme ou la Convention européenne des droits de l’homme dont je peux jouir dans notre pays pour me mettre l’âme au chaud dans des pantoufles en me transformant en marionnette pour ventriloque.
D’ailleurs c’est drôle : « ventriloque », c’est exactement le mot employé par Emmanuel Macron lorsque lui est revenue en pleine figure, façon boomerang, ses propos sur Israël création de l’ONU qu’il aurait tenus lors d’un conseil des ministres. « Je crois que je dis suffisamment sur la situation au Proche-Orient pour ne pas avoir besoin de ventriloque. Tout cela est une preuve, au fond, d’un délitement du débat public », a tonné Jupiter, avant de s’en prendre aux journalistes sommés de s’en tenir au communiqué de presse. L’Association de la presse présidentielle n’a pas tardé à répondre au Président, en lui reprochant de mettre « gravement en cause la déontologie de la presse ». « Notre travail ne peut se résumer à reprendre les déclarations officielles », a-t-elle pointé sur X. La liberté, ça ne s’use que si on ne s’en sert pas, a dit Guy Bedos. Ben vous savez quoi ? Je valide !