
“Poser ses couilles sur la table” est une expression (pas la plus élégante, j’en conviens, mais tout à fait dans le thème, faites-moi confiance) qui signifie « faire preuve d’autorité, s’imposer » et fait résider dans lesdites couilles le creuset du leadership (éliminant du même coup les non-mâles dudit leadership ce qui laisse déjà rêveuse, mais passons). Cette formule a-t-elle inspiré Marion Leroutier, enseignante-chercheuse au Centre de recherche en économie et statistique (Crest) de l’ENSAE Paris (école d’ingénieurs de l’Institut polytechnique) et Ondine Berland, chercheuse en économie de l’environnement à la London School of Economics and Political Science (donc, pas exactement des rigolotes ou des adeptes de l’approximation) ? Dans une étude intitulée « The gender gap in carbon footprints : determinants and implications », elles ont comparé le poids de l’alimentation et celui des transports dans les empreintes carbone des Français et des Françaises (les profils de 2.100 personnes ont été examinés ainsi que les résultats d’une enquête sur les habitudes de transports de 12.500 personnes), deux postes qui représentent à eux seuls plus de 50% des émissions nationales. Résultat : sur le seul critère du genre, si les femmes prennent autant l’avion que les hommes, elles émettent en moyenne 26 % de CO₂ en moins. Si on prend en compte l’âge, les revenus, la CSP, les besoins caloriques des femmes selon la faculté de médecine, cet écart tombe à 18%. Et cependant… « en réalisant ces ajustements statistiques, on s’est aperçu qu’il restait toujours un écart inexpliqué entre les hommes et les femmes de 6,5 % pour l’alimentation et de 9,5 % pour les transports », observe Ondine Berland. En se penchant un peu plus sur cet écart, les chercheuses ont mis en exergue que les mâles conduisent davantage de grosses cylindrées et privilégient la viande rouge alors que l’on sait, sauf chez certains syndicats agricoles qui aiment bien mettre le mot tradition à toutes les sauces, que l’élevage, au même titre que les chevaux sous le capot, sont des vecteurs importants de gaz à effet de serre. Wokiiiiiiisme !, hurleront à la mort les mêmes qui riaient en entendant Florence Foresti résumer ainsi la théorie de genres : « Tu demandes à un garçon ce qu’il faut sur la planète c’est facile : une Porsche, une vache, une patate ». Ou qui se poilaient lorsque Sandrine Rousseau associait barbecue et machisme (et a reçu en retour des centaines de photos de saucisses, je passe sur l’analogie mais vous voyez l’idée…).
Mais là, c’est la science qui le dit, alors pour l’instant, en Europe du moins, on y croit à la science. Pour inverser la tendance, il va donc falloir prouver scientifiquement aux mâles que la virilité apparemment si chère à leurs yeux ne se loge pas dans les couilles (qu’on ne met pas sur la table, pas plus que les coudes, c’est malpoli), ni dans l’entrecôte carbonisée – car ces stratèges du gril sont aussi souvent des Mozart de la cuisson largement au-delà de la réaction de Maillard, maîtres-queux ès formation d’amines hétérocycliques (AH) amies des cancers. Ne me demandez pas comment on s’y prend, il faudrait pour cela que je me tape des vidéos d’influenceurs masculinistes pour comprendre et c’est au-dessus de mes forces. Sinon pour ceux et celles que cela intéresse, je vous conseille la lecture de l’épatant livre de Nora Bouazzouni, « Steaksisme. En finir avec le mythe de la végé et du viandard » qui explique comment le contenu de nos assiettes est une construction sociale qui remonte à l’Antiquité. Le seul truc qui risque alors de fumer, c’est le cerveau qui va se mettre à carburer en réalisant combien nous sommes conditionnés jusque dans nos cuisines. Et ça, au moins, ça ne va pas alimenter les statistiques du cancer ni dérégler le climat...