Humeur

Le geai, le derrick et le colibri

Lecture 4 min
Emmanuelle de Jesus.

L’histoire se passe ce jeudi 30 mai, entre deux averses. Isabelle Patrier, directrice de TotalEnergies France, fait une journée marathon en Côte-d’Or. En BFC, elle joue sur du velours car ici le groupe s’illustre uniquement au travers des activités de son agence entièrement dédiée aux énergies renouvelables. Ces dernières prennent d’ailleurs une part de plus en plus importante dans le mix énergétique du groupe : en 2015, 65% des activités de Total (le nom a changé en TotalEnergies en 2021) était concentré sur le pétrole ; ce chiffre est descendu à 43% en 2023 (en faisant, il est vrai, aussi monter la part du gaz). 8% de l’électricité vendue aujourd’hui par TotalEnergies est issue de filières bas carbone ; ce sera 20% en 2030. Que de bonnes nouvelles…

L’atmosphère était donc plutôt détendue, lorsqu’Isabelle Patrier a lâché cette bombe dont sont parfaitement conscients dans le désordre les groupes pétroliers, les analystes des marchés de l’énergie, les experts du GIEC, les confrères spécialisés… et un peu moins il faut l’avouer les journalistes généralistes de BFC et le grand public. Et qu’a-t-elle dit, alors qu’une douce brise agitait les feuilles de l’arbre entrevu par la fenêtre et soulevait en une tendre caresse les plumettes du geai posé dessus ? « Tout ce qu’on produit en énergies renouvelables est absorbé par cette augmentation de la demande en énergies fossiles ».

Une absorption loin de compenser cette augmentation qui n’est pas rien : selon les prévisions de l’IAE (l’agence internationale de l’énergie), la consommation de barils de brut va passer de 100 millions/jour il y a deux ans à 108 millions/jour en 2028. Ça en fait, des forages, des polluants et des gaz à effets de serre balancés un peu partout sur la planète… D’un seul coup, l’arbre et le geai ont pris, je l’avoue, des couleurs moins riantes, les couleurs délavées des vieux Polaroïd s’effaçant et disparaissant sous une vague à la Hokusaï, mais une vague de pétrole noir et gluant. (J’ai l’imaginaire fertile).

Alors, me suis-je dit in petto, à quoi ça sert tout ça, les éoliennes, les champs de panneaux photovoltaïques, le thermostat à 19°, le plan hydrogène de la région BFC, si c’est pour le voir anéanti par les amoureux du derrick ? (le machin pétrolier, pas l’Inspecteur teuton). Et puis j’ai repensé à un autre oiseau. Le colibri. Le petit oiseau multicolore, beau comme un miroitement du soleil sur un étang de Giverny (j’ai aussi l’âme portée à la chose artistique). Le colibri du théorème, celui qui, devant un incendie, goutte d’eau après goutte d’eau, s’efforce d’éteindre le feu. Et je me suis dit que, tant qu’à faire, j’aurais meilleur temps (comme disent les Francs-Comtois et donc un de mes collègues) à être un colibri et privilégier les solutions plutôt que de me focaliser sur le problème. Je vais donc continuer à acheter de l’électricité verte et mettre un pull quand il fait frisquet, comme en ce mois de mai. Bonne nouvelle, Isabelle Patrier m’a confortée dans cette option en nous expliquant que le choix de TotalEnergies de miser un peu plus sur le côté vert de la force avait permis au groupe de terminer sur d’excellents chiffres. Mais ce geai plein de pétrole, s’agitant désespérément au sommet d’un arbre englué, va longtemps s’inviter sur mes étangs de Giverny. Foutu imaginaire…