Humeur

Le maire, défouloir local

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Emmanuelle de Jesus

Mercredi 6 août, le maire de la commune de Villeneuve-de-Marc en Isère (1.200 habitants) a été violemment agressé à l’arme blanche par un riverain. Un différend suite à des travaux réalisés sans autorisation par le suspect serait à l’origine de ce déchaînement. Si le maire, hospitalisé en urgence absolue, est sorti d’affaire, cet épisode s’ajoute à la longue liste de celles impliquant des élus locaux victimes de violences de la part de leurs concitoyens.

En 2019, le Sénat et l’Association des maires de France avaient mené une grande enquête sur le niveau d’insécurité ressenti par les maires : 92 % des élus ayant répondu à la consultation déclaraient avoir été victimes de violences. Pour l’essentiel (82 % des cas) des incivilités, mais aussi, dans un cas sur deux, des injures et des menaces, 14,2 % des répondants ayant subi des agressions ; dans 83 % des cas, les agressions physiques avaient eu lieu dans des communes de moins de 3.500 habitants.

Mais, me direz-vous, des lois existent ! En mars 2024, la loi « renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux » promettait une protection fonctionnelle pour les exécutifs locaux. Le 10 juillet 2025, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture, avec modifications et à l’unanimité, la proposition de loi sur le statut de l’élu local (le Sénat l’examinera en deuxième lecture à partir du 23 septembre prochain). Cette nouvelle PPL promet l’octroi automatique de la protection fonctionnelle étendue à tous les élus locaux victimes de violences, d’outrages ou de menaces et non pas aux seuls exécutifs locaux.

Il y a tout à parier que le Sénat approuvera, mais je jouerais quand même un jeton ou deux sur la réintroduction, par la Chambre Haute, d’un point retoqué par les députés sur la version initiale : ils ont en effet supprimé un article qui « introduisait dans la charte de l’élu local une référence aux valeurs de la République et prévoyait un engagement public du maire ou du président de l’exécutif nouvellement élu à respecter ces valeurs ». Pourquoi ? Parce que, nous explique le site gouvernemental Vie publique qui vulgarise les débats à destination des non-initiés (excellente mise en bouche avant d’aller dépouiller le dossier législatif ) « pour limiter les risques pénaux qui pèsent sur les élus locaux, le texte clarifie le conflit d’intérêt public-public ».

Personnellement je ne vois pas en quoi un élu de la République s’engageant publiquement à respecter les valeurs de ladite République le place en position de courir un risque pénal. En revanche, je vois bien le risque qu’il court à prendre sur son temps, ses loisirs, sa vie de famille, et maintenant sa sécurité, pour un pécule modeste dans les petites communes où, justement, survient l’essentiel des agressions.

Au lieu d’empiler des lois qui manifestement ne servent à rien contre les agresseurs (j’exagère : elles serviront sûrement à certains comme porte-étendard pour se présenter aux élections sénatoriales), soyons sans pitié pour ces rustauds qui confondent élu local et défouloir à leurs frustrations. Sinon, la pénurie de candidats pour les élections municipales de 2026 risque de faire très mal car, n’en doutons-pas, les partis les plus extrêmes occuperont le terrain avec n’importe quelle propagande douteuse portée par des chèvres en tablier que, faute de mieux, on habillera d’une écharpe. Et là, je ne donne plus très cher des fameuses valeurs de notre République.