Humeur

Léonard, David et le silence

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Lundi 20 janvier à 18 h, heure française, Donald Trump prêtera serment sur la Bible pour devenir officiellement le 47e Président des États-Unis d’Amérique. Unis jusqu’à quand et dans quel état, ça c’est une autre chanson quand on sait que c’est précisément sur la fragmentation des électeurs (pauvres contre élite, Blancs contre tous les autres, Américains contre les pays voisins...) que Donald Trump a construit son incontestable victoire sur Kamala Harris. Une stratégie déjà mise en oeuvre en 2016 lors de la campagne présidentielle qui l’avait propulsé pour la première fois à la Maison Blanche devant, déjà, une femme : Hillary Clinton. Preuve qu’en une décennie, le peuple américain persiste dans son absence totale de toute espèce d’effort de faire nation, l’électorat du milliardaire, libertés individuelles en étendard et revolver dans la poche, applaudissant à tout rompre Elon Musk, celui que Trump appelle « The great guy » et qui sera, n’en doutons pas, le véritable vice-président de la première puissance mondiale. Preuve aussi que par deux fois, cette puissance a prouvé qu’elle n’était pas assez mature pour confier sa destinée à une Présidente... Il y a une autre chose qui rapproche ces deux investitures : la mort de grands artistes. En novembre 2016, à quelques semaines du début de Trump saison 1 à Washington, l’immense Leonard Cohen nous laissait seuls pour réécouter, encore et encore, Suzanne, Hallelujah ou So long, Marianne dédiée à sa première compagne et muse, Marianne Ihlen. Elle est morte trois mois avant lui et il lui avait écrit ces mots déchirants : « Nous sommes arrivés au point où nous sommes si vieux, nos corps tombent en lambeaux, et je pense que je te rejoindrai bientôt. Sache que je suis si près derrière toi, que si tu tends la main tu peux atteindre la mienne. Et tu sais que j’ai toujours aimé ta beauté et ta sagesse et je n’ai pas besoin d’en dire plus parce que tu sais tout cela. Je veux seulement te souhaiter un très beau voyage. Au revoir ma vieille amie. Mon amour éternel. Rendez-vous au bout du chemin. » Le 15 janvier de cette année, quelques jours avant le début de Trump 2, c’est David Lynch qui tire le rideau. Le réalisateur, créateur d’un univers si particulier que l’adjectif « lynchéen » fait partie du vocabulaire des cinéphiles, nous laisse seuls avec le visage glacé de Laura Palmer, la lumière tremblante sur le panneau où se lit MULHOLLAND DR. et les notes hypnotiques d’Angelo Badalamenti. J’imagine assez bien Cohen accueillir Lynch au studio Saint-Pierre et lui dire : « T’as pas pu, toi non plus ? - Ben non, plus le courage », ou un truc dans le genre. Ce type de pensée me réconforte un peu. Me dire que, quelque part dans le cosmos, ou simplement dans un coin de ma tête, ces deux-là sont en train de s’échanger des nouvelles de l’ici et de l’au-delà, me laisse croire que j’ai encore quelques ressources pour tenir mon cap dans un monde où la brutalité, l’individualisme, le narcissisme, le racisme et l’argent sont devenus autant de veaux d’or. Sur ce, je vous laisse. Dans un club bleu nuit, j’ai rendez-vous avec Rita et Betty. Son nom : Silencio...