Depuis que tu as exprimé, un certain dernier dimanche de juin, combien tu pouvais être haineuse et frustrée, je me sens comme loin de toi. Et ce n’est pas le « barrage républicain » que tu as élevé le dimanche suivant qui nous a réconciliées ; j’avoue que tu me fais le coup depuis plusieurs élections et j’en ai un peu marre de jouer les maçons en ouvrage d’art politique...
Ça fait un moment, chère France, que je ne te reconnais plus. Le miroir déformant dans lequel tu te mires, constellé de crachats antisémites, de vomis xénophobes et doré du mépris des notables envers ceux qu’ils nomment « assistés » me donne, selon les jours, le cafard ou la honte. Je me dis, chère France, que tu as la mémoire courte. Que tu as oublié, ou fait semblant d’oublier ce qui a fait ta grandeur, ton unicité et ton aura à travers le monde, cette force irrépressible qui poussa ton peuple à renverser les tyrans pour créer une Nation indivisible, éclairée par les mots sublimes de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, préambule de ta Constitution. Que tu as oublié, surtout, que ce ne sont pas les notables qui t’ont bâtie mais d’humbles serfs qui ont tracé tes champs et tes chemins, des ouvriers qui ont érigé tes cathédrales puis fait tourner tes usines, tous ces hommes et ces femmes de bonne volonté broyés sur l’autel de la rentabilité, négligés par ceux qui prétendaient les défendre. Tu as oublié aussi, que tu fus terre d’accueil aux exilés mais qu’il ne suffit pas de laisser ta porte ouverte pour que les étrangers à ton sol deviennent des citoyens.
Comment peux-tu t’étonner, chère France, que ces oubliés, éjectés sans ménagement du creuset que tu prétends toujours incarner, se choisissent un autre destin ? N’es-tu pas glacée d’effroi en voyant ces communautaristes de tous poils et ces « Français de souche » (Cette expression ! Si j’étais un chêne, j’en frémirais d’indignation), te découper selon les pointillés, comme une carcasse chez le boucher ?
Et pourtant, chère France, moi dont le sang pourtant a passé bien des frontières avant de me faire naître sur ton sol, je ne peux te quitter. Tu restes pour moi, au déni parfois de la réalité, la France de Jean Ferrat, « Celle du vieil Hugo tonnant de son exil », le bourgeois devenu la voix des Misérables, celle de Zola et son J’Accuse, celle d’Abd El Malik demandant Qu’Allah te bénisse, celle, même, de Trenet, la Douce France où la liberté, l’égalité et la fraternité s’affichent au fronton de tes mairies. Cela aussi, cela surtout, c’est toi. Alors, je reste. Et ton miroir crasseux, mettons-le à la casse : la France, a un jour dit de toi un de tes admirateurs, ne peut être la France sans la grandeur...