
« Une fois n’est pas coutume : cet édito est spécialement dédié à René (qui se reconnaîtra), croisé cette semaine en reportage et grâce à qui j’ai pu, moi aussi, expérimenter le quart d’heure de gloire Warholien. Nous avons discuté quelques minutes de ce qui ferait le sel de cet édito et voilà, je tiens promesse : on ne va pas trop rigoler cette semaine. »
Alors qu’une radio d’info en continu me faisait vivre en direct les émotions des Forçats de la route (avec, je dois le confesser, beaucoup moins de verve que n’a pu en témoigner notre Dieu à nous, les journalistes de presse écrite, à savoir Albert Londres) en danseuse vers le Mont Ventoux, le présentateur de l’après-midi, sans transition mais un peu emmerdé quand même, nous a emmenés vers Gaza. Gaza ou un confrère Palestinien - car il n’y a plus que les journalistes autochtones, qui crèvent de faim comme les autres dans cette enclave devenue une honte pour l’humanité toute entière, pour avoir le droit de témoigner du calvaire de ceux qui y survivent encore - expliquait dans un français parfait comment, malgré le déluge de bombes, malgré la famine, malgré les pleurs de ses gosses, il sort de ce qui lui reste de maison pour faire son métier. Ses mots n’accablaient personne ; il disait juste combien chaque jour en vie était un miracle. Et toute la dignité humaine jaillissait de ce témoignage qu’il a envoyé jusqu’à nous je ne sais trop comment. Je voudrais encore une fois redire toute l’admiration, le respect et l’infinie révérence que m’inspirent ces confrères et consoeurs Palestiniens sans qui nous ne saurions pas la profondeur de l’indignité qui se joue en ce moment à Gaza.
Alors non ! Je n’oublie pas le 7 octobre et les massacres commis par le Hamas, mais en entendant la voix de ce journaliste, je me revoyais, deux jours plus tôt, scrutant la photo de cette femme palestinienne tenant dans ses bras maigres le cadavre décharné de celui qui, sûrement, avait été son fils. Et je songeais que, à chaque guerre, dans chaque bataille, dans chaque tragédie, il se trouve de ces mères portant les cadavres de leurs enfants. Elles n’ont plus de nation, plus de couleur de peau, plus de religion. Ce sont juste des mères pleurant l’absurde injustice de continuer à vivre, ou à survivre, en tenant contre leur peau la chair morte de leur chair à vif. Et pendant ce temps-là des hommes repus discutent de la marche du monde et de ce qu’il convient, ou non, de faire, pour empêcher, ou non, la mort de gagner. Et d’autres hommes maigres, flambants de rage sous le déluge de bombes, se transforment en machines à vengeance. Et tant que cela durera, tant que des hommes repus et des hommes enragés règleront la marche du monde, il n’y aura pas de pitié pour ces Pietas.