Permis de vivre
Ruralité. Permettez-moi, le temps de ce billet, de vous emmener faire un tour dans ma petite vie, ou plutôt dans le petit village bourguignon où je réside.
Permettez-moi, le temps de ce billet, de vous emmener faire un tour dans ma petite vie, ou plutôt dans le petit village bourguignon où je réside. Samedi dernier, bravant les chasseurs qui il est vrai étaient occupés sur un autre massif, nous sommes parties, mes chiennes et moi, à baguenauder dans la forêt voisine de la maison. C’est là, sur un chemin blanc comme on dit à la campagne, que j’ai rencontré Paul ou plutôt « Le » Paul, au volant de sa megane. Paul, 83 ans, répond habituellement avec jovialité quand on lui demande des nouvelles que « Ça va, comme un p’tit vieux ». Eh ben, pas là. Là, Paul m’a répondu, soucieux que ça ira... tant qu’on lui prend pas le permis.
Faut dire que le permis du Paul, il est rentabilisé. Levé à l’aube, le p’tit vieux boit son café, emballe sa mauvaise jambe dans un jean, enfile ses bottes et, sa thermos de café dans une main, son casse-croûte dans l’autre, va retrouver sa bagnole et arpente les bois alentours qu’il connaît par coeur depuis le temps qu’il chasse et fait la tournée de ses coins à champignons. Il philosophe sur les beautés de la nature et fait le bonheur de la pompe à essence de la ville d’à-côté. Sauf que ce petit eden vient d’être bousculé par une directive européenne qui entend réduire le nombre de morts sur les routes et abroger le permis à vie. Quand cette directive sera appliquée en France, notre permis sera accordé pour une durée de 15 ans renouvelables, ce renouvellement, dans l’état actuel de la loi, soumis à une visite médicale, et les critères seront plus sévères pour les plus de 65 ans. Laissez-moi vous dire que le Paul, avec sa hanche qu’il a pas voulu soigner comme il faut, son ouïe qui fout le camp et j’ose à peine faire un pronostic sur l’état de sa vision, a toute les chances de se voir retirer le papier rose qu’il a obtenu dans sa verte jeunesse. Il a prévenu : s’il n’a plus le permis, il se « foutra un coup de fusil » parce que le Paul n’est pas trop du genre à glandouiller sur son canapé.
Alors certes, j’entends les légitimes inquiétudes des eurodéputés. Moi-même, lorsque je me retrouve coincée à 20 km/h derrière un Paul zigzagant sur la minuscule desserte qui rejoint la route communale, je peste sur ces vieux qui devraient plus conduire. Et après ? On retire le permis d’accord ! Mais alors, on en fait quoi de ce dispositif dans les « ruralités » que les hommes politiques glorifient au moment des élections et du salon de l’agriculture ? On en fait quoi, de la mamie veuve qui a besoin de sa voiture pour faire ses courses et surtout, surtout, voir du monde ? On en fait quoi, du papy qui a l’oreille un peu faible, mais dont la bagnole l’emmène dans l’association qui vit grâce à lui et d’autres petits vieux ? Avant de retirer le permis à tous les bancals qui conduisent, il faudrait aussi revoir sérieusement les mobilités dans les coins perdus de France. Pas offrir un chauffeur à chaque retraité - ils n’ont pas tous été ministre de l’Intérieur - mais au moins des solutions décentes de transports en commun. C’est sinon, les condamner à s’abrutir devant la télé en attendant la mort.
... quant à offrir un chauffeur au Paul, ce n’est pas possible. Ses coins à champignons, ce sont les siens et ils mourront avec lui. On espère que ce ne sera pas d’un coup de fusil à cause d’eurodéputés qui ne voient pas plus loin que leur TV et leur taxi...