À moins de vivre dans une grotte, vous n’avez pu échapper au scandale des poupées sexuelles à caractère pédopornographique vendues sur la marketplace du spécialiste de l’ultrafast fashion chinois Shein. Visage de petite fille aux grands yeux mi-apeurés, mi-soumis, corps d’enfant et ours en peluche dans les bras, la chose était décrite comme « jouet de masturbation masculine avec corps érotique et vrai vagin et anus ». À vomir.
Dès son signalement à la DGCCRF, l’objet a été retiré de la vente, une plainte déposée, les sites chinois de vente en ligne (Shein, AliExpress, Wish et Temu, les quatre cavaliers de l’Apocalypse du commerce digital) pointés du doigt et notre ministre de l’Économie, Roland Lescure, s’est fendu d’une déclaration dont la radicalité laisse pantois. Tremblant d’indignation, il a assuré qu’il demanderait l’interdiction d’accès de Shein en France s’il vendait à nouveau des poupées sexuelles à caractère pédopornographique. Ouh la la quelle violence dans le propos ! Ça a dû drôlement trembler du côté de Singapour (où Shein a délocalisé son siège social l’année dernière) ou à Hangzhou où Jack Ma a bâti l’empire AliExpress ! Shein a immédiatement juré ses grand dieux qu’il allait collaborer avec la justice, son porte-parole en France courant les plateaux pour tenter, sans succès en ce qui me concerne, de nous convaincre que Shein est limite une victime dans cette histoire, ce n’est pas lui qui fabrique, hein, il se contente de vendre...
Cette affaire, au-delà de son caractère sordide, devrait nous amener à réfléchir à l’essence même de ce commerce mondialisé et à sa brutalité. Là, c’est presque trop facile : l’incarnation de sa violence par cette poupée sexuelle fillette est tellement évidente, tellement premier degré que son obscénité nous éclabousse. Mais au final, acheter sur Shein ou ailleurs des produits fabriqués à l’autre bout du monde dans des conditions atroces par des humains maltraités, puis transportés en saignant la planète, uniquement dans le but d’assouvir nos désirs de consommateurs, est-il plus moral ? Gningningnin, répondront les grincheux, acheter un t-shirt Shein ou un jouet sexuel pédopornographique c’est pas pareil ! Bah si. Pour monsieur Jack Ma ou monsieur Donald Tang (dirigeant de Shein), c’est exactement pareil. Si certains achètent, ils vendent, ça s’appelle la loi du marché, et c’est la seule morale qui compte. Vous en doutez ? Après ce scandale, Frédéric Merlin, patron de SGM qui possède le BHV, aurait pu renoncer à y installer un corner Shein comme il le claironne depuis des semaines. À la place, il fait placarder rue de Rivoli une immense affiche où le voit tout sourire aux côtés de Donald Tang avec le slogan « L’affiche qu’on n’aurait pas dû faire ! ». En effet. Si les scrupules et la morale guidaient les trajectoires de ces messieurs plutôt que le profit, on n’aura pas dû voir cette affiche qui salit de son indécence la vénérable façade et le dôme Art Nouveau du BHV. Le 5 novembre, Shein y a ouvert son corner, comme prévu. Et je ne doute pas que, quelque part en Chine, des gens fabriquent des poupées sexuelles pour permettre à quelques détraqués occidentaux de satisfaire leurs désirs malades et quelques milliardaires asiatiques de s’en foutre plein les poches. Quant à moi, je prends congé, j’ai la nausée qui me submerge...