
Le 13 mai, jour de la Sainte-Rolande et de saint Servais, le dernier des Saints de Glace (après, tu peux planter tes tomates), Emmanuel Macron a prévu de s’adresser à nous, le peuple français, pour nous causer questions existentielles de la Nation et référendum. Il a plein de façons de s’y prendre, après tout c’est le Président, le seul avec une majuscule n’en déplaise à tous les présidents de conseil d’administration, chez nous depuis la Constitution de 1958 le Président c’est un peu Dieu, et franchement une allocution avec les drapeaux, la fenêtre ouverte sur le parc de l’Élysée, la Marseillaise, mes-chers-compatriotes, tout ça, c’est corporate, ça fait sérieux, ça a de la gueule... Eh ben raté. Ce qu’il a choisi, mister Président, c’est un format deux heures sur TF1, avec Gilles Bouleau à la présentation, des « personnalités de la société civile » pour lui poser des questions en direct, et aussi d’autres envoyées préalablement par des téléspectateurs. « Ce sera un truc qui n’a jamais été fait », a confié, enthousiaste, une source de « l’entourage du président » à nos confrères de La Tribune et rien que cette phrase fait frémir... À quoi va donc ressembler le « truc » ? Si on pousse au max le curseur de l’infotainment - apparemment le seul format intelligible par les concitoyens (en un seul mot, pour rester polie) du point de vue de la comm’ élyséenne -, j’imagine bien une grande grille et des loupiotes, une voix off qui a un prénom (on va dire Marianne, pour rester dans le thème), Gilles Bouleau compulsant ses petites fiches, le Président devant un champignon qui fait pouèt quand il donne la réponse aux questions de Marianne (en fait, celles des téléspectateurs eh eh), à chaque réponse qui satisfait une majorité qualifiée de gens du public votant en direct, pouf, une loupiote qui s’allume, quand le Président a réussi à allumer toute la grille, il a le droit de proposer un thème de referendum, hop, vote des téléspectateurs pendant la pause pub (« Avec la crème à reluire Bouleau, vos escarpins n’auront jamais été aussi beaux »), retour plateau, question validée et deux conseillers de l’Élysée fébriles qui postent en direct sur les réseaux... Deux heures comme ça, de 20 h 10 à 22 h 10, on sera rentrés à temps pour le souper à la Lanterne, ce qu’il faut pas faire pour sauver la fin du quinquennat quand même...
Introduit dans la Constitution de 1958 (articles 11 et 89), le référendum n’est pas un machin qu’on présente dans un « truc ». Pour mémoire, le référendum d’octobre 1962 a instauré l’élection du Président de la République au suffrage universel, remplaçant le système antérieur de vote par des grands électeurs. Celui de 1969 a abouti au départ du Général de Gaulle. C’est explosif, un référendum, ça se manipule avec précaution, on n’y va pas avec ses gros doigts... Après, il est vrai que ça s’est un peu relâché, les moins Gen Z d’entre nous se souviennent du référendum de 2005, un Non à presque 55% à la ratification du traité de Constitution européenne, balayé deux ans plus tard par le Traité de Lisbonne, ratifié par voie parlementaire... « C’est une bonne idée d’avoir choisi le référendum, à condition que la réponse soit oui », avait déclaré un ex-Président, Valéry Giscard d’Estaing (ce qui, au passage, lui avait valu un prix de l’humour politique en 2005, l’année donc du dernier référendum si vous avez suivi). Alors, pensez-vous que le « truc » présidentiel, cet emballage télévisuel de notre Constitution est navrant ? Pour ma part, c’est un Oui à 100%. Sur ce je vous laisse, Marianne et moi on a un truc sur le feu qui est en train de se consumer, je crois que ça s’appelle la démocratie...