Humeur

Shein aux Galeries, de la merde dans un bas de soie

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Emmanuelle de Jesus

La semaine dernière, on apprenait que Frédéric Merlin, président du groupe SGM (Société des grands magasins), avait conclu un accord avec Shein pour implanter des corners de la marque chinoise dans plusieurs magasins que la SGM exploite, depuis l’historique BHV de la rue Rivoli à Paris jusqu’à des Galeries Lafayette, dont celui de… Dijon.

Dijon, ville d’art et d’histoire, va donc voir affluer non point des esthètes venus s’esbaudir sur les merveilles des ducs de Bourgogne, mais des consommateurs de vêtements à prix massacrés, fruits d’une ultrafast-fashion qui se fout royalement des conditions dans lesquelles sont fabriquées des collections de fringues renouvelées chaque jour ou presque. Shein, ce sont des usines à épuiser les ouvriers chinois qui fabriquent les vêtements, des matières premières à la traçabilité hasardeuse, 99 % des produits transportés en avion, 94 % de produits non conformes à nos normes européennes et, selon le gouvernement français, « 66 % de produits dangereux ». Même pas vrai, répond Frédéric Merlin : « Les usines qui fabriquent les produits Shein sont les mêmes que pour l’ensemble des commerçants mass market ». Et de garantir qu’en mettant sous le même toit Shein et Jacquemus, on fera plus de flux et, ipso facto, la cliente qui accepte de mettre moins de 10 € dans un pull va ensuite, dans un même élan, en claquer mille de plus dans un sac. On n’y croit pas une seconde (lui non plus d’ailleurs), mais c’est un sacré coup de marketing : poser Shein dans un écrin haut de gamme comme le sont les Galeries Lafayette va donner un vernis de respectabilité et upgrader par osmose cette honte absolue qui souille tout autant la planète que les droits humains. De la merde, oui, mais dans un bas de soie…

Alors certes, on me rétorquera que le marché répond à une demande, que les pouvoirs d’achat en berne ont aussi droit à des fringues neuves et que s’insurger, c’est du mépris de classe, un luxe pour les CSP+. Sauf que c’est précisément ce dispositif, basé sur la frustration (fabriquée à longueur de temps sur TikTok, un réseau chinois) et un mépris absolu du consommateur dont on a lavé le cerveau de tout scrupule, qui fabrique artificiellement cette demande dont on ne doute pas qu’elle engraissera un peu plus quelques fortunes. Tout en achevant un secteur du prêt-à-porter déjà mal en point.

Il paraît que le groupe Galeries Lafayette n’est pas content. Que la Banque des Territoires, en négociations exclusives avec SGM pour créer une foncière en vue de racheter le BHV, non plus. Au point de faire capoter l’accord entre Shein et SGM, et apprendre à Frédéric Merlin qu’il ne suffit pas de raconter des craques pour qu’elles deviennent la vérité ? Voilà qui serait un véritable enchantement !